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Grandir c’est souffrir ?

Enfant, j’ai beaucoup lu. J’ai vécu dans les vies et les idées des autres. J’en ai conçu une vision de ce que je devais être et devenir : une personne fiable, polie, travailleuse, qui se mêlait de ses affaires. Une personne normale, propriétaire, bricoleuse, avec un travail cinq jours par semaines. Potentiellement des enfants et un mari, mais je n’ai jamais été bien sûre sur ce point.

Grandir, c’était être réaliste, pragmatique, arrêter d’être une gamine, comprendre qu’on ne fait pas toujours ce qu’on veut dans la vie, être ce qu’on doit être.

Grandir, c’était plein de « il faut » et « tu dois« , même pas dictés par ma famille ou mes proches, mais par mes propres valeurs, mes propres visions. Être responsable, mature, serviable, ne pas trop penser à soi.

Grandir, c’était devenir ce je « devais » être, un membre productif de notre société, trouver sa place, qui était déjà déterminée.

Grandir, c’était renoncer à la liberté de l’enfance, au magique, aux caprices, et être adulte, c’était atteindre ce monde où on sait ce que l’on fait, où on choisit nos comportements en fonction des conséquences attendues, où tout est rationnel, organisé, un peu plat.

J’avais cette vision. Les enfants étaient irrationnels, mais magiques, les adolescents intéressants et sublimes, les adultes dans le rang, plats, inintéressants et poussées par des forces qui n’avaient rien de grand.

Je prenais l’exemple de Tom Jedusor, le méchant de Harry Potter. Un enfant sombre, presque sacré de différence et de tristesse, un adolescent exalté, charmant, manipulateur, obsédé de grandeur, puis un adulte Voldemort plat, défiguré, amputé d’une partie de son âme, obsédé par la peur de la mort. Plus de grandeur dans l’adulte, plus de sublime, simplement de débattement plat et mesquin de qui veut survivre, un peu plus, sans grandes émotions dans sa vie. Voldemort, adulte, avait pour moi la simplicité émotionnelle que j’attribuais aussi aux enfants.

Être adulte, c’était la fin du beau, du sublime, de la magie des longues soirées d’été, d’une glace au bord de la mer, de l’immensité d’une cime montagneuse. Je souhaitais l’être, parfois, les grandes émotions de l’adolescence me submergeaient assez pour que je souhaite m’en débarrasser (voir un conte d’hyperintellectualisation). Je pensais qu’un jour, je m’éveillerai sans mon tourment, avec une direction, une volonté à la mettre en œuvre, et, alors, je serai adulte.

Grandir, c’était renoncer. À sa volonté, sa curiosité. À son enfance au temps présent, peter-panesque, que déjà on a perdue quand on commence à avoir le cœur déchiré de regarder Peter Pan (le film de 2003, pas le dessin animé). À la grandeur de son adolescence, aux grands poèmes et aux grands poètes, à l’indignation de vivre – si je n’ai guère été indignée par des questions sociales, si lointaines, comme j’ai pesé l’indignité de la condition humaine !

Photo de Vinu00edcius Vieira ft sur Pexels.com

Grandir, c’était renoncer à ces sots espoirs de grandeur, ces rêves de mythe et d’écriture, et se plier au moule, accepter la réalité sociale. C’était beaucoup souffrir pour ne plus souffrir, pour devenir un rouage. J’ai rejeté mes sensations, cessé de ressentir volonté ou espoirs, et je croyais que c’était bien, que je grandissais. Qu’il n’y avait aucun autre choix. Que les adultes dissipés, paumés, drogués, étaient encore adolescents.

Et pour vous, grandir, c’était quoi ?

Une réponse à « Grandir c’est souffrir ? »

  1. Avatar de dessinemoiunpoulpe

    Bonjour Noémie. J’ai été touché par ton récit et par les sentiments que m’a procuré sa lecture. Cela m’a donné envie de me prêter à l’exercice moi aussi…https://dessinemoiunpoulpe.com/2024/04/19/et-pour-moi-grandir-cetait-quoi/

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