Réflexions sur l’intellectualisation, les pensées intrusives, et le sens de la vie.
Voir Quand notre cerveau nous fait honte et Confessions d’une sociopathe – retours de lecture
Adolescente, j’ai rejeté les images qui me paraissaient faibles. Rejeté mon lien avec mon corps et avec la réalité. Avec les sensations et les petites joies (voir Un conte d’hyper-intellectualisation). Je n’acceptais pas d’être fascinée par les bébés ou d’aimer les chats, de pleurer devant un film, de me réjouir d’un moment qui passe.
La mort m’obsédait.
La rationalité m’obsédait. Je me protégeais en ne voulant plus ressentir. Fixer mes yeux. On les disaient « morts », voire « meurtriers ».
Les choses ne m’intéressaient plus, le monde était loin. L’idée de voter me mettait incroyablement mal à l’aise, je doutais même de mon existence.
Mon héros était Arthur Rimbaud, et j’étais fascinée par l’Holocauste, cette misère humaine.
J’écrivais des poèmes sombres, un blog sombre, des mots sombres.
Je pensais ne rien ressentir, que la peine. Je ne pouvais pas définir l’amour, trouver en moi cet extrême que les livres rendaient délirant et incroyable. Je n’admettais pas cette nuance.
Je me sentais différente, et les tréfonds de mon cerveau, horribles.
Je cherchais des diagnostics sur internet. En passant, sans m’attarder sur rien. Dépression, Asperger, bipolarité. Pourquoi pas la sociopathie ?
Et maintenant ?
Je ne suis pas un monstre à couettes. Je peux lire les nécrologies sur Wikipédia, écrire un livre nommé Splendeurs et misères de la Mort, dont le personnage central est la Mort, sans être un monstre. Je peux être fasciné par l’absurde, par la Shoah, par les extrêmes des Hommes sans être un monstre. Je peux avoir tous ces scenarii, ces images dans la tête, ces peut-être et ces t’imagines, sans conclure que ce sont des fantasmes que je souhaite voir réalisés.
L’autisme m’apporte une piste de lecture, ici. Si j’imagine devoir choisir un membre de ma famille qui doive mourir, si j’imagine ma réaction à perdre mon couple, mon travail, ma maison, ce n’est pas que j’en rêve secrètement, mais que j’ai peur. J’ai peur de l’inconnu, j’ai peur de mes réactions. J’ai, fondamentalement, et depuis trop longtemps, peur d’être perdue, instable, sans les gens et les choses qui me donnent une assurance certaine dans la vie. Les lieux, les proches, les routines, les objets. Les concepts qui rassurent mon cerveau toujours sur la brèche de l’anxiété, de l’angoisse. Les concepts que j’utilise pour m’en prémunir. Peur, aussi, de me tromper, d’être jugée, de m’aliéner les autres.
Ces scenarii, c’est pareil que la grammaire, que les règles de politesse, que me convaincre que rien n’est grave et réfléchir que tout est absurde. Des structures du passé, de mon cerveau. Des connexions de neurones.
C’est la peur, le malaise que je veux éviter. J’espère faire mon deuil à l’avance, anticiper tous les scenarios, ne pas être prise au dépourvu
Il me paraissait prétentieux d’imaginer que, comme Harry Potter, mon épouvantard serait un détraqueur : un être qui aspire nos joies et nos réconforts, qui nous met face au vide, que j’ai déjà ressenti. Je m’imaginais un épouvantard qui ferait disparaître le monde, qui m’emprisonnerait dans ma tête, pour une tristesse sans fond, sans borne et sans fin. Dans toutes les directions. Sans même parents mis à mort qui hurlent leur dernier je t’aime.
Mon épouvantard, c’est ce que j’ai imaginé en hypnose, seule au fond de la grotte, comme le souvenir traumatisant de mon enfance : une solitude, une peur si absolue, une vulnérabilité sans mesure ni mots, une sensation entièrement présente que tous les réconforts sont des distractions, des façons d’éviter l’horreur primale et absolue. L’absence de sens, la mort. On y revient toujours. On se connecte aux autres pour survivre et pour se distraire. On s’attache aux lieux et aux objets, on s’intéresse effrénément pour faire disparaître l’appel du vide. On court après ce qui fait disparaître le démon du mal. Le détraqueur, l’épouvantard.
Non, vraiment, je ne vois pas comment on pourrait voir autre chose que la solitude, que la peur tout au fond de sa grotte.

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