
À seize ans, j’ai eu une petite crise de confiance envers les livres, et les mots en général. Moi qui n’avais toujours vécu que dans les livres, je les trouvais désormais trompeurs, sujets à déception, traîtres.
J’avais lu des aventures, des histoires d’amour, d’amitié, de vie, de famille. Et je n’en faisais pas l’expérience de la même manière, pas du tout. Peu à peu, je me suis dit que je n’éprouvais pas d’émotions, ou du moins pas celles des livres. Ils mentaient !
Et qu’est-ce qu’il me restait, alors ?
J’aimerais tant rester ici toujours, dans mon bain, dans le silence, et surtout seule. Le silence a beau être relatif, il me convient, car il n’a pas de mots. Car si les bruits ne me font pas d’effet, j’exècre les paroles, le langage articulé prétendument sensé. De la même manière, je supporte les images en exécrant les mots, sans même m’apercevoir que j’écris. Ici, les mots sont calmes car ils m’appartiennent, et ils n’ont pas d’autre sens que celui que je comprends.
Mardi 9 juillet 2013
Qui n’a jamais rêvé de se taire à jamais ? Qui n’a jamais rêvé de mettre les gens face à la vanité de leur propre existence ? De montrer que les mots ont trahi ? Qu’ils brisent le silence, et la vie ? Qu’ils ont fait si mal. Je hais avoir besoin de mots pour dire que je les hais. Je hais avoir à dire, mais je ne peux ne faire que penser. Je ne peux laisser les mots s’entrechoquer dans mon esprit. Sans raison. Je hais les mots. Je hais pouvoir tout dire avec les mots, sauf l’essentiel. Les mots sont d’une substance empoisonnée. Les mots ont trahi les espoirs d’une moi petite fille. Les mots ont trahi. Je les hais.
23 janvier 2014
Obligatoirement après ce contenu fort joyeux : 🤡🎉
Du coup, par pur cynisme, et en toute logique, je me suis mise à écrire un livre. Un livre d’amour, à la première personne. Une histoire de deuil et d’amour impossible, de renoncement, de folie.
C’était moi la folle !
J’ai écrit des dizaines de pages, des lettres éloquentes, grandiloquentes, des supplications contre le sort, des déclarations d’amour éternel.
Ah !
Rien n’avait de sens, purement les mots, les mots qui m’émouvaient plus que les gens, les mots qui disaient ce que je n’avais jamais ressenti. Et une amie proche, ayant lu ces mots, m’avait dit avoir presque pleuré.
Ô rage, ô désespoir, ô mots ambivalents et traîtres. Mots qui seulement pouvaient exprimer mon tourment, mais ils mentaient, et à qui l’aurais-je dit ? Qui aurait écouté, m’entendant vraiment, sans louer seulement la vivacité, la grandeur de la prose ?
Oui, je m’emporte, vous voyez ce que j’étais, peut-être, et peut-être m’y comprendrai-je moi-même.
Un roman épistolaire, donc, une histoire d’amour brisé (faut pas déconner quand même, l’amour heureux c’était trop gros à avaler). Un tour sur mon drive m’informe que l’écriture s’étendait sur 24 pages, police Book Antiqua, interligne 1,15. Plus un autre document pour la trame globale.
Je ne me souviens pas de quand j’ai abandonné ce projet un peu absurde, un peu cynique, un peu moi. Toujours en terminale, où je l’avais commencé, j’en suis presque sûre, je ne me revois écrire que sur les ordinateurs du CDI, en perm’ de 14 à 16.
Reprise
2020. Je pars en vacances visiter les châteaux de la Loire. En rentrant du zoo de Beauval, je repense à ce livre. Je pense que je n’ai jamais fini un livre, et je n’aime pas ça. Je veux me prouver que j’en suis capable. Là, à l’arrière d’une voiture, avec cinq potes, je décide que je le finirai, quelle que soit mes sentiments par rapport aux sentiments initiaux dans lesquels je l’ai écrit.
Je reprends. J’avoue, sur mon temps de travail. Je suis en télétravail quasiment à plein temps, COVID oblige. J’écris quelques minutes à droite, à gauche, jusqu’à une heure que je ne vois pas passer. Je reprends toute la structure. Je veux rapprocher ce personnage de mon nouvel état d’esprit. Tout en ne le comprenant pas vraiment.
J’ai 23 ans, je suis avec quelqu’un. Je comprends, partiellement, avec mes propres mots, ce que c’est que de tenir à quelqu’un. J’ai changé. Un peu.
Je reprends le livre, les pages déjà écrites, la structure pour la suite. J’injecte un peu du moi nouveau. Je termine l’histoire. Je veux terminer un livre.
C’est un livre Frankenstein, j’en vois les différents objectifs. Je peine à lui trouver un nom. Il y a quand même des thèmes qui m’intéressent, notamment le rapport à la réalité et aux événements qui s’y passe, à la solitude, à la résilience. À la parentalité, un sujet qui me questionne.
Je ne suis pas particulièrement fière de ce livre, mais je le termine. Je le fais imprimer, je l’envoie à quelques éditeurs, au cas où. Sur un malentendu. Je me fais la main.
Je ne suis pas particulièrement fière de ce livre, mais je suis fière de l’avoir fini. Il me permet de me poser des questions sur l’écriture, il me permet de faire réémerger ce vieux rêve d’écrire, de me réconcilier un peu avec l’orgueil immense qu’il faut pour se dire qu’on peut écrire, et partager.
Je n’en parle à personne. Puis les retours négatifs arrivent, et je dois en parler à mon compagnon avec qui j’ai emménagé. À ma psy.
Je ne suis pas particulièrement fière de ce livre, mais il fait intensément partie des changements que j’ai connu ces dernières années, et je suis fière de ça. Il a ouvert une voie, un chemin, un espoir qu’écrire ne reste peut-être pas lettre morte – et c’est déjà le cas, puisque j’ai déjà partagé un autre livre, qui comptait, et un autre, pour l’instant seulement à mon entourrage proche.
Aujourd’hui, je rêve. C’est un peu grâce à lui, mon livre Frankenstein. Qui s’est appelé La Réalité est une maîtresse impitoyable. Puis Nos Réalités. Mais aussi La Plume et le Plomb.

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