J’ai passé ma vie à essayer de penser des contours définis à mes relations sociales, à mettre en mots et en règles les concepts insondables d’amour, d’affection, d’amitié. À comprendre comment l’amour filial devait s’exprimer et pourquoi je ne ressentais pas exactement ce que mon intellect avait établi (spoiler – parce que j’étais un monstre, bien sûr. Une psychopathe.)
J’ai passé ma vie à essayer de mettre le doigt sur ce concept élusif qu’est le couple, comprendre les poncifs éculés qui l’entourent, par exemple celui selon lequel de l’amour à la haine, il n’y a qu’un pas – ou, plus poétiquement, « ressortir avec un ex, c’est comme ravaler son vomi ». À essayer de comprendre comment on pouvait avoir aimé quelqu’un « plus que soi-même », puis le détester, comment on pouvait vouloir passer sa vie avec quelqu’un qu’on a rencontré il y a cinq minutes, ou encore, tout simplement, ce que veux dire « je t’aime ». Puis-je raisonnablement le prononcer si je n’ai pas fait le tour de toutes les significations, si je ne suis pas sûre que l’amour dure toujours, si je ne peux pas jurer, croix de bois, croix de fer, que je mourrais pour l’autre ?
Ce c’est pas sans impact sur ma vision de moi-même et de mon agentivité : dans mes relations, c’est l’autre qui sait ce qu’est la relation et ce que je dois être. Moi, je risque de me tromper, de me planter. De ne pas comprendre, de ne pas être conforme à ce fantasme conceptuel de relation que j’ai créé. Moi, qui trouve Roméo et Juliette stupides (ils se sont connus trois jours !), qui ne comprend pas les phrases comme « oui, mais quand même, c’est ta mere, ton père, ton grand-oncle par alliance, rayer la mention inutile« , qui suis-je pour comprendre les relations, que, pourtant, j’ai quand même ?
J’avoue que j’ai longtemps fui les relations amoureuses. Je ne voyais pas l’intérêt. J’étais rationnelle : je ne tombais pas amoureuse. Je cherchais maladivement à reconnaître tout début de sentiment chez moi. Identifier, cataloguer. Conceptualiser. La drague, ce n’est pas mon rayon – même si j’étais persuadée que je pourrais, si je voulais, ce qui était probablement présomptueux. Si mon compagnon m’avait abordé avec des fleurs et des je t’aime, je serais sûrement partie en courant. Je fuyais tout cela. Tout en étant curieuse. J’ai toujours eu des amis (amies, la plupart du temps), avec une vague culpabilité de ne pas être « une bonne amie », assez désintéressée, assez aimante.
Je ne sais pas si c’est l’autisme (je pense, quand même), un style d’attachement insécure évitant (ce qui pourrait être lié), ou autre chose, mais quand même, les relations, c’est bizarre, et ce qui est encore plus bizarres, c’est que dans les bouquins, dans les films, c’est toujours traité comme un sujet évident. Comme si les gens savaient ce qu’ils ressentent, ce qu’ils veulent faire, et ce que veut dire aimer !

Laisser un commentaire