TDAH, inertie, dysfonction exécutive et petites stratégies

On m’a dit toute ma vie que j’étais bizarre et intelligente : ni le diagnostic d’autisme, ni l’identification de mon HPI n’ont été une vraie surprise. Mais le TDAH, je ne l’ai pas vraiment vu venir. Je ne pensais pas vraiment souffrir de « paralysie », je ne connaissais pas les termes « dysfonction exécutive », je n’étais pas un enfant hyperactif. Je pouvais me concentrer, à l’école : je divaguais beaucoup dans mon monde intérieur, bien sûr, mais j’écoutais assez et retenait beaucoup pour avoir de bonnes notes.

Je pouvais tout faire : j’avais confiance en ça. Je procrastinais, bien sûr, mais je savais que je serai toujours à la hauteur, que je ferai le devoir « au talent » la veille du rendu, que j’irai plus vite que tout le monde. Si je n’arrivais pas à me lever, à faire des choses, peu importait : je savais que je finirai par le faire. La paralysie n’était pas une souffrance : j’aime l’immobilité, le temps seul avec soi-même, l’instant suspendu de l’inaction. J’aimais la voiture, la route qui s’étire à l’infini, être seul, avec soi-même. Nulle interruption, nulle obligation. Un jour, un instant, je devrai me lever, continuer : la voiture arrivera, l’adrénaline, l’instant me pousseront. Alors, je me lèverai. Je suis dans mon lit, je ne veux pas me lever. Je savoure ma « paresse ». Lorsqu’il faudra se lever, je le ferai. Lorsque ce sera nécessaire. Lorsque cela devient nécessaire, j’ai des stratégies : j’attends d’avoir envie de faire pipi, mon corps me forcera. Je réfléchis à la texture de l’ordre que je donne à mon corps : pourquoi, si je dis explicitement, dans ma tête, « lève-toi et marche », ne se passe-t-il rien, mais lorsque je suis intimement décidée à bouger, mon corps bouge sans que je ne lui dise rien (je ne pense pas en phrases) ?

Je ne suis pas paralysée : j’attends juste la volonté. Souvent, je compte jusqu’à douze. Allez, je compte jusqu’à douze, et je me lève. Si je rate la première fois, je recompte. Parfois, je choisis un nombre plus grand. Mais pas trop : si c’est trop grand, je perdrai le fil. Compter pendant une minute entière, quel ennui ! Je ne vis pas mal ma paralysie : je crois que c’est une question de volonté. Que je ne veux pas assez me lever. Ce n’est pas un problème. C’est acceptable. Je n’ai pas tant de choses à faire. Je suis une enfant.

En fait, je me vois, à l’époque, comme un chat : est-ce qu’il s’emmerde à savoir ce qu’il doit faire ou à se forcer à faire des choses ? Non. Il se repose, il juge, il réfléchit. Il se divertit de lumière et de regarder le ballet des oiseaux. Ne sort de sa paresse qu’au bip de la machine à croquettes, presque sans y penser. Sort quand ses besoins naturels se rappellent à lui. Simple.
Photo de Rido Alwarno sur Pexels.com

L’obligation me fera me lever. Peu à peu, je développe un ressentiment fort pour la contrainte, imposée par d’autres, ou par moi. L’école est une contrainte. Même, des fois, les sorties en famille, les choses que j’ai moi-même planifiées. Il faut sortir du lit, du temps suspendu, de l’infini. Il faut retourner dans le monde réel, celui du social et de la productivité. J’en veux à l’école, au réel. Je mets si longtemps à me dire que la contrainte est auto-imposée. Vers 16, 17 ans, je réalise que je pourrais simplement arrêter de me lever, un matin. Je flotte dans mes fantasmes d’hôpital psychiatrique, de paresse institutionnalisée. Pourtant je me lève toujours, chaque matin. Parler de mon mal-être, de mon envie de ne rien faire, de dormir une année entière avant de même pouvoir ouvrir à nouveau la bouche, parler au monde. Non. C’est plus simple de continuer, de courber le dos, d’accepter. Si je me lève, si je vais à l’école, peut-être pourrai-je ne parler à personne. Laisser le temps couler sur mes plumes, me ramener encore ce soir, le lit, l’oisiveté, le droit de ne pas parler et de ne pas exister. Si je me lève, en plus, il y a une chance que je finisse par vouloir parler, que j’aille mieux, que j’aime des instants. Que je change.

Je n’en veux pas à ma paralysie ou à ma paresse, j’en veux à la contrainte. Peu à peu, c’est comme si j’étais deux : un moi social, un moi quand je suis seule. Puis quatre : deux personnalités sociales, Claire et Carlie, l’une qui performe à l’école, l’autre qui performe socialement, deux personnalités de solitude, Ondine et Espérance. La désespérée, colérique comme l’océan, et la rêveuse, pleine de magie et d’espoir. Toutes deux sont poètes.

Je ne suis que ces dernières. Je n’existe que quand je pense, je ne pense que quand je suis seule. Peu à peu, j’oppose exister et être socialement : j’existe seule, je suis un robot en société.

Puis la vie, les amis, le couple. Continuer à vivre entre le social et le solitaire, malgré tout. Le social m’apporte tant, malgré tout.

Puis j’ai 24 ans : je vais voir une psy. Je commence les diagnostics, les réflexions, l’écriture. Tout à déconstruire, à réconcilier. Et découvrir que, peut-être, dans cette quiétude à ne rien faire, il pourrait y avoir une paralysie, une angoisse, qui m’a fait détester le monde. Qui me fait parfois regretter le monde social, qui pourtant, seul, m’apporte du neuf, de l’intéressant, du changement.

Curieuse de savoir comment vous avez intellectualisé votre inertie ?

8 réponses à « TDAH, inertie, dysfonction exécutive et petites stratégies »

  1. Avatar de dessinemoiunpoulpe

    🤔 pour ma part, j’ai fini par faire un lien entre mon inertie et mon anxiété. Et d’ailleurs j’ai fait aussi un lien entre ma force de me lever, de performer et mon anxiété . 2 Fasses d’une même pièce, tantôt elle me freine, tantôt elle me pousse. Tout dépend le degré d’urgence…Malheureusement j’ai du mal a être autre chose que l’un de ces 2 états : à l’arrêt ou au taquet !

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    1. Avatar de dessinemoiunpoulpe

      Oups : fasses = faces 😅

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    2. Avatar de Haut Potentiel d'Aventure

      Oui, vraiment. L’angoisse et le devoir sont des outils formidables, même s’ils sont souvent difficiles à accepter ou supporter. Je ne me définirais pas comme au taquet, jamais :D, mais je me reconnais quand même. Au point que j’ai eu cette idée des personnalités immobiles, dans la réflexion, et les actives, les pleins d’adrénaline, de présent, d’instantané. Dont je ne me souviens pas bien…

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      1. Avatar de dessinemoiunpoulpe

        Oui, chacun l’explique à sa manière, avec les images qui lui parlent. Au final, c’est le même fonctionnement un peu « binaire » entre 2 états opposés actif/passif, ou ying/yang. J’aime bien l’idée de pouvoir comprendre ce fonctionnement et l’apprivoiser afin de le maîtriser un tant soit peu et ne plus le subir…

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  2. Avatar de Tissage de Sens
    Tissage de Sens

    Merci pour ce partage. C’est la première fois que j’entends parler de paralysie ou d’inertie en relation avec le TDAH. Mais effectivement, ça fait échos à des choses que j’ai vécu. En 2022, j’ai été hospitalisé pour dépression, et j’ai dû réapprendre à me lever le matin, à faire des petits efforts pour être content de ma journée, faire redémarrer la machine. Même manger était devenu difficile, alors que j’ai toujours eu bon appétit. Je ne sais pas si j’ai intellectualisé mon inertie. J’ai le sentiment de fonctionner un peu différemment de toi. Moi, j’ai toujours démarré au quart de tour, du moins, dans mes souvenirs. Ce n’est récemment que j’ai réappris à redevenir fainéant, à me lever plus tard, sans mettre de réveil, pour le bien de mon corps, qui crie grâce parfois, après avoir couru dans tous les sens et fait 100000 choses en une journée. J’ai eu une vie fatigante. Je sens que ce qui m’attend va l’être aussi, alors je me ménage. Je crois que c’est la peur et l’obéissance dévouée qui m’ont poussées, pendant ma scolarité à me lever pour aller « apprendre » (ou alors mon père qui n’était pas la souplesse incarnée…). Bref, je m’arrête là. Merci encore pour le partage. Ps: le chat est magnifique.

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    1. Avatar de Haut Potentiel d'Aventure

      Je pense que les facteurs étaient assez semblable : poids du monde, des proches, de l’obligation, et qu’on l’a intellectualisé de façon légèrement différente. Mes parents ont toujours eu des discours, aussi, autour du fait de s’économiser (ils ont fait énormément de choses, mais quand on se lance dans un projet, comme la rénovation de la maison, leur premier réflexe est de dire « préservez-vous, quand même ». Eux-mêmes ont une certaine fatigabilité dans le domaine, et avaient chacun un jour différent dans la semaine où ils existaient pour eux-mêmes, sans travail, sans les enfants).

      La neurodivergence c’est tellement de pression aussi, aller à l’encontre de soi, apprivoiser, avoir peur de son esprit, avoir du ressentiment, avoir l’impression, dans mon cas du moins, qu’on flirte sans cesse avec la folie et la crise. C’est avoir envie et être terrifiée de l’expression « lâcher-prise ».

      Le chat est magnifique. Être un chat, ce doit être magnifique. J’aimerais penser qu’ils en ont conscience, parfois.

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  3. Avatar de Alfred
    Alfred

    La passion, la lumière éclatante qui a jailli soudainement et par hasard de la Musique de (dans l’ordre d’apparition) Beethoven (9e), Mahler (5e) et Bach (fuga a la giga) à mes 12-13 ans m’a maintenu en activité.
    Car je me suis bien reconnu à vouloir ne plus parler à personne pendant un an, ne plus aller à l’école, ne plus avoir à supporter les contraintes imposées par une norme sociale dont je sais maintenant à quel point elle est toxique.

    Comme vous, c’est au « talent » que j’ai « réussi » l’école. Par devoir aussi. Même au dernier moment, l’exercice aura été fait, le cours aura été entendu et compris, l’enseignant aura été respecté.

    Mais en revanche, non, ne pas rester au lit, pas pour moi ! J’avais tellement de choses à faire pour comprendre le monde, apprendre, contempler, écouter, divaguer, réfléchir, étudier, composer……. mais à la condition qu’on m’eut laissé faire à ma façon….. Ce ne fut pas le cas. Pacifiste dans l’âme et terrassé par la violence du système, j’ai alors aussi courbé le dos, résigné et réfugié (quelques petits sursauts ponctuels de colère n’y auront rien changé). J’en ai payé le prix à 26 ans, lorsque chaque matin, une nausée violente me prenait sans raison. Les psychothérapies tentent encore de sauver aujourd’hui ce qu’il est encore possible de sauver.
    Car ma cause est différente : elle est le résultat de l’enfance maltraitée, les poly-traumatismes, ceux qui paralysent le cerveau à jamais car les « coups » reçus ont été trop forts, trop réguliers et pendant trop longtemps à l’âge fragile. D’une petite enfance parfaitement « normale », j’ai sombré progressivement dans une enfance double : la terreur à la maison, et ne pas le montrer en société. Je serai déjà mort (suicidé) si la Musique elle-même, dans son essence, ne m’avait pas sauvé. C’est grâce à elle que j’ai pu vivre caché, masqué, donner le change. Mais de vie sociale, point je n’en avais envie. Ma confiance en l’humanité, (« l’humanisme »), était déjà perdue à mes 9 ans, car j’ai vu les monstres derrière tant de duplicités. Une cabane au fond d’un bois m’eut été parfait, si ce n’était encore une fois la trouille d’échouer aussi cette vie là qui ne m’eut paralysé.

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    1. Avatar de Haut Potentiel d'Aventure

      La trouille d’échouer aussi cette vie-là, cela me parle tellement.

      C’est vrai que je n’ai pas vécu ce genre de traumatismes : toutes choses considérées, j’ai eu de la chance, je n’ai même pas vraiment été rejetée socialement, à l’école, surtout pas autant que j’aurais pu l’être si on me considère « différente ». La bienveillance n’exclue pas tout traumatisme, ceci dit, et en génère même un : celui de se sentir distant, pas connecté, alors que tout le monde essaie de m’intégrer. Me sentir un monstre puisque ce n’est pas la société qui me rejette, mais moi qui n’est pas capable de m’y lover comme les livres prétendent que c’est possible.

      Je n’ai personne contre qui être en colère, que moi-même. Personne qui m’a porté de coups – et c’est heureux, c’est une chance, et ce qu’on vous a fait est insupportable. Le monde est absurde pour moi, et non violent – cette absurdité n’est pas sans violence intérieure. Je n’ai pas de raisons pour cette nausée, chaque matin – elle existe, pourtant. J’en accuse le travail, mais c’est bien sûr plus complexe. C’est le rouleau-compresseur de cette norme sociale. On vit pourtant dans le monde. S’il n’existait que nous, le monde serait peut-être merveilleux, ou, probablement, serions-nous éteints. Sans société. Sans organisation. C’est ce que mon instinct me soufflait, plus jeune : si le monde entier était comme moi, nous ne survivrions pas une seule génération.

      J’essaie de ne pas en conclure que c’est d’exister en tant que moi-même, en tant que neurodivergente, en tant que personne que la société n’embarque pas sans soucis, qui rend malheureux. La musique ne me fascine pas : moi, ce sont les histoires. Lire, écrire, rêver. L’aventure. Les images – moi qui ne pense pas en images. Rechercher un peu de sens.

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