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Assister à un spectacle

Photo de Monica Silvestre sur Pexels.com

C’est étrange, les spectacles. On est assis, plongés dans le noir, les uns à côté des autres. On assiste à la même chose, mais on en fait tous une expérience différente. On n’a pas le droit de parler avec ses voisins, de commenter – on le fait, parfois.

On ne peut pas noter les pensées qui nous viennent – parfois, je voudrais les retenir. J’ai des révélations, des pensées que j’aime, des choses sur lesquelles je voudrais revenir. Des idées à explorer, des ébauches de romans et d’histoires. Je les perds.

J’essaie de m’immerger dans le présent, dans le spectacle. C’est de la musique, un film, un spectacle de comique. La sensation n’arrivera qu’une fois, le moment ne sera pas rejoué. J’aimerais m’y accrocher, mais je pense déjà à ce que j’en retirerai, à ce dont je me souviendrai, à ces pensées que je perdrai. Je suis là et je suis ailleurs, je suis dans le moment et dans ma tête.

Souvent, je regarde autour de moi, je m’interroge : les gens ont l’air d’être immergés, eux, de savoir profiter. Pourquoi en suis-je, moi, incapable ? Pourquoi suis-je ici et ailleurs, en-dessous, au-dessus, à côté ? Pourquoi ne vis-je les instants présents qu’à l’aune de ma pensée qui ne s’arrête jamais, pourquoi ai-je si peur d’oublier, pourquoi oublié-je effectivement la plupart de mes émotions, et de mes révélations d’un instant ?

Un instant cela fonctionne. L’instant d’après je suis encore éjectée. Je ne suis plus fascinée par le jongleur, le comédien, la musique : je ressens le fauteuil, une forme d’inconfort quelconque – j’ai chaud, je ressens mon ventre qui n’est pas assez comprimé par mon jean, j’ai froid. Il y a trop de bruit. Les bruits ne sont pas assez alignés : j’entends trop l’instrument et pas assez la voix, trop les bruitages, trop les basses.

Un instant, la magie, et soudain je me regarde à nouveau de l’extérieur, soudain je ne suis plus dans la scène de théâtre, mais une spectatrice, son fauteuil inconfortable, le velours rêche de l’accoudoir. Soudain, je pense aux vies des milliers de personnes qui assistent au même spectacle, je me demande ce qu’ils ressentent, je me demande ce qu’est cette intensité de l’émotion, cette perte de soi dans l’art ou la musique, qu’on attribue si souvent aux autistes, et dont je suis un peu jalouse.

Je suis là, mais je m’observe là. Je suis mon propre spectacle, le flux continu de ma pensée à peine articulée.

Parfois j’aimerais que cela s’arrête, peut-être que j’aime le spectacle mais que l’inconfort gagne, peut-être que la stimulation est trop forte. Souvent, je rêve d’aller dormir, d’être dans mon lit : je n’existe vraiment que quand je réfléchis à ce qu’il s’est passé, pas quand j’assiste. Être là, dans le présent, c’est déjà trop réel, et donc, je ne sais le traiter, le fixer, le maintenir à ma pensée. Je sais pourtant que ma mémoire ne me laissera qu’un souvenir faible et détourné, des émotions tronquées. Je crois que les émotions fortes me font peur, je les désire, pourtant.

C’est étrange, les spectacles. On ne parle pas, on est.

On est des milliers.

Je me sens seule, au spectacle.

J’explore mon monde intérieur.

Et vous, ça vous fait quoi ?

2 réponses à « Assister à un spectacle »

  1. Avatar de Alfred
    Alfred

    La première chose qui compte pour moi est d’être tout en haut de la salle, dans un coin, à l’écart (ou à la rigueur à côté d’une allée afin de pouvoir fuir au cas où……).
    La seconde est qu’habitant dans la « diagonale du vide », de spectacle de qualité, il y en a très très peu (et je n’ai les moyens de me payer un voyage dans une Capitale que trop rarement). Les choses se passent donc à la télé, ordi, chaîne hi-fi….. à la maison !
    Lorsque cela m’arrive, je goûte le spectacle toujours avec un esprit critique, bien concentré sur ce qui se passe. La forme, la surface, le pathos ne me touchent pas beaucoup (d’ailleurs, en concert de musique, je ferme toujours les yeux, car il n’y a normalement rien à voir mais tout à entendre). Ces formes sont le voile qui cachent éventuellement le vide du logos. M’en mettre plein la vue et plein les oreilles est vain, je ne suis plus dupe (d’autant que je ne supporte pas quand le son est trop fort, d’où mon absence des salles de cinéma).
    Ainsi, je choisis mieux mes spectacles. J’ai besoin de la garantie que j’aurai une nourriture consistante sur le plan intellectuel. J’étudie alors bien en amont ce qui sera proposé (et donc, si le programme omet d’évoquer le contenu, je n’y vais pas, pariant souvent avec succès sur la « tromperie de marchandise »).

    « Je suis là, mais je m’observe là. Je suis mon propre spectacle » : involontairement et par déplacement, vous êtes à deux doigts de comprendre « La Société du Spectacle » de Guy Debord (livre ardu à lire, un excellentissime petit résumé de 10 minutes se trouve sur la chaîne youtube Politikon), car les spectacles sont justement fabriqués pour que nous nous y retrouvions (et que nous en achetions docilement la marchandise dérivée). L’hypnose et la manipulation sont complètes. Rares sont les spectacles qui nous prennent vraiment pour des adultes, nous sortent de nous-mêmes afin de nous faire explorer en conscience des mondes parallèles et/ou imbriqués et surtout avec un esprit critique toujours en éveil et une immense liberté d’agir à postériori. Ce ne seraient d’ailleurs plus des « spectacles » mais bien autre chose…… ce serait de l’enseignement en fait !
    Nous retrouver tous dans une salle à regarder le même endroit nous rassure en grande partie. Nous nous retrouvons nous-mêmes dans ce conformisme de forme qui approuve notre soumission au groupe, chaque spectacle étant tant une caricature de lui-même (ils sont tous construits selon quelques principes, et affreusement classifiés en genres, n’étant ensuite que des variations d’un même modèle), qu’un rassemblement de personnes aux mêmes comportements (mimétismes des concerts de rock, autre monde que le théâtre comique, et autre moeurs que le théâtre tragique…..rarement des « rockeurs » chez Tchékov ou Ibsen……étonnant !!!???). Et une reproduction des classes sociales en fonction de l’emplacement des « places réservées » (soit dit en passant).
    Par ailleurs, le spectacle « gratuit » (sans contenu intellectuel) nous rassure également d’avoir bien « travaillé » dans le mode « productiviste » (coupé de sens) de notre société, et donc, qu’après ce passage par la « souffrance » partagée, nous aurions amplement « mérité » de nous « divertir » (et encore une fois du mimétisme rassurant dans ces rassemblements de spectateurs qui ont « trimé » comme nous, à qui le « bon Prince » (le vrai possesseur de la marchandise et du Pouvoir, soit 10% de la population possédant 50% de tous les biens terrestres !!!) accorde une soupape de soulagement). Hélas, c’est comme cela que nous passons à côté de ce que serait un vrai travail partagé (dans le sens oeuvre, ouvrage) pour le bien-être de la Planète elle-même et par extension de ses habitants….

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    1. Avatar de Haut Potentiel d'Aventure

      Merci pour ce commentaire riche et intéressant, qui alimente la réflexion.

      Je ne partage pas absolument la vue « bétail » et « abêtissante » de la majorité des spectacles, comme outil de contrôle des masses : j’y trouve toujours matière à réflexion, même si probablement en faisant quelques tangentes, souvent.

      Au lycée, avec le club théâtre de l’établissement, j’ai vu beaucoup de pièces, et j’ai pu retrouver cette impression : j’ai détesté, je me suis ennuyée à toutes les comédies, boulevard, classique, je ne voyais que les procédés pour faire rire, qui me paraissaient un peu grossiers, et, surtout, pas drôles.

      Mais j’ai souvenir de réflexions sur moi-même, sur l’appartenance au groupe, sur les procédés comiques eux-mêmes, qui fait que je ne pense pas avoir perdu mon temps. Tout expérience nouvelle est bonne à prendre, dans mon cas : je veux juste ressentir quelque chose. De par mon histoire, cela n’a pas toujours été facile, de ressentir.

      Je me renseigne le moins possible sur un spectacle avant d’y aller. Je préfère voir où mon esprit dérivera. Quant à « m’en mettre plein la vue et les oreilles », sans arrière-pensée, sans distance avec le stimulus pur, je dois dire que ça ne m’est jamais pleinement arrivé, et que j’en rêve encore. La distance est intéressante intellectuellement, mais j’aimerais parfois faire l’apprentissage du fait de me perdre dans l’art. L’art lui-même, la littérature en font une sensation qui paraît formidable. Qui me manque sans que je l’aie connue. Le Sublime, dans le réel. Pas seulement dans les livres, dans ma tête, quand je suis seule.

      J’aime à croire que le réel pourrait m’impressionner fortement, pleinement, et me changer. Connaître cette fameuse « expérience sensorielle qui change la vie ». Doux rêve, bien sûr. Mais quel rêve !

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