Imaginer le monde sans moi m’a figée, à douze ans, lorsque j’ai fait l’expérience émotionnelle absolue de ma disparition, de l’idée qu’un jour, je n’existerai plus. Pendant des mois, je ne pouvais plus rien faire, un chronomètre battait les secondes à mon oreille, toute corvée m’était insupportable : tout n’était que temps perdu, et rien de donnait sens au temps qui passait.
Moi qui avait toujours aimé lire, qui y avait toujours trouvé refuge, soudainement, je ne pouvais plus : j’étais en voyage, et les livres que j’avais emmenés comportaient des morts. Harry Potter, Twilight, la Quête d’Ewilan. Ce dernier était le pire : les ennemis étaient nombreux et inhumains, une armée de créatures que l’auteur pouvait tuer à l’envi, sans arrière-pensée. Je ne supportais pas de lire une page sans pleurer.
C’était un échange de jeunes, nous étions en Allemagne. Un soir, une fête était prévue. Tout le monde s’amusait, puis je me suis mise à pleurer, et il a fallu me consoler. Mais que lui arrive-t-il ?
Je ne sais pas… Elle dit qu’elle a peur de mourir.
« Mais, tu sais, Noémie, de toute façon, on finit tous par mourir. »
Étaient-ils plus sages ou plus inconscients que moi ?
Cela a duré un été. J’écrivais dans un cahier, je calculais mon âge en jours, en minutes, en secondes. Le pourcentage de ma vie qui s’était déjà écoulé, par rapport à mon espérance de vie. Tout pour me rassurer.
Quelques semaines plus tard, j’ai dû reprendre l’école, et continuer. La contrainte était plus forte, et on ne peut passer sa journée à contempler la mort, quand on est membre d’une société. Quelques mois plus tard, je commençai à travailler à ne plus rien ressentir.
Un conte d’hyperintellectualisation
J’ai toujours peur de parler de ce sujet. De le lancer pour quelqu’un d’autre.
À 15 ans, j’ai assisté à une pièce de théâtre sur la philo, le protagoniste prenait son ancien professeur en otage, car il l’avait mis en face de questions sur la mort. Après des années de difficultés, il était devenu prof de philo à son tour. À l’époque, quand on nous avait demandé si cela nous faisait peur, la philo, j’avais pensé que je n’avais pas eu besoin de ça.
Lentement, avec les années, mon rapport à la mort s’est assagi. Je n’étais plus en face de la question, violemment émotionnelle, tout le temps. Ces dernières années, je travaille à retrouver mes sensations, à faire face à la réalité, à accepter tout ça.
J’écris.
La question de la mort n’a pas de solution, mais on avance dans la vie. L’aventure.

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