
Choisir de cacher lorsqu’on va mal semble une seconde nature, chez moi. Chez beaucoup de gens. Parce qu’on a honte d’aller mal, de ne pas trouver la vie aussi facile que les autres. Parce qu’on en fait une affaire de défaut personnel, de fainéantise, de faiblesse de caractère, parce qu’on croit que demander de l’aide nous rend moins aimables. Qu’on va être rejeté. Que les autres n’aiment que la façade de nous. Parce qu’on pense, sincèrement, que les relations humaines sont au moins en partie transactionnelles et que les autres « n’ont pas signé pour ça« , nous aiment « à notre mieux ».
Et ce n’est pas entièrement faux. Parfois, on ne peut pas rester, on ne peut pas sauver l’autre malgré lui, on ne peut pas user sa propre santé à soutenir quelqu’un qui n’arrive pas à aller mieux, à dépasser ses difficultés. C’est des conseils qu’on lit, sur internet, dans les livres de développement personnel, quand, comme moi, on s’en abreuve pour essayer de se faire une théorie du monde social.
Laissez derrière vous ceux qui vous ralentissent. Lisais-je en ignorant la deuxième partie, s’ils ne font pas d’efforts pour vous ou pour aller mieux. Mais faisais-je vraiment des efforts pour aller mieux ? Ma psychologue elle-même me l’avait dit, à seize ans. Je faisais preuve de mauvaise volonté, je ne voulais pas m’en sortir.
« Noémie n’a pas le désir, ou la capacité de ce désir, de modifier son regard douloureux sur sa vie ».
Super psy n°1
Je ne mérite donc pas d’être aimée telle quelle, je dois faire des efforts. Me travestir. Jouer le jeu.
J’ai seize ans et je pense que c’est ça, grandir. Accepter qu’on ne fait pas ce qu’on veut dans la vie, qu’on doit accepter certaines compromissions, jouer le jeu social. La société est une réalité qui contraint nos possibilités.
C’est vrai, bien sûr. Mais, à seize ans, cela me paraît si écrasant, si limité.
Le masque a bien des avantages. Il est vu comme un privilège pour ceux qui ne peuvent pas masquer.
Être un membre productif de la société.
Avoir des opportunités, un certain confort matériel, en « jouant le jeu ».
Être en sécurité, ne pas être exclu, victimisé, marginalisé, à risque de pauvreté, d’isolement, de précarité, d’agressions. Ne pas subir les discriminations anti-handicap, les préjugés de ceux qui ne connaissent pas les réalités et les vraies limitations de nos handicaps.
Trouver un groupe d’appartenance, même si elle semble parfois fausse, même si on ne se sent même plus soi-même. Répondre aux attentes, être apprécié, valorisé, même.
Les inconvénients, car masquer est aussi un piège.
Intégrer dans ses valeurs des vertus qui nous détruisent, comme la régularité, la productivité, l’absence de repos, faire passer les besoins des autres avant les siens…
S’y perdre dans la désidentification et le burn-out.
Ne pas avoir d’ajustements qui seraient nécessaires.
Ne pas remettre en question un monde validiste, qui rejette la différence.
Ne pas être soi-même. Ne pas chercher son propre bonheur, toujours faire ce qu’il nous semble qu’on attend de nous.
Être quand même perçu comme bizarre ou « trop », car le masque n’est pas parfait.
La fatigue mentale, physique, psychologique, la douleur de faire semblant.
Avantages et inconvénients de retirer le masque / de ne pas savoir ou pouvoir masquer
Se retrouver, être plus à l’aise avec soi-même, mais être aliéné socialement.
Avoir des difficultés sociales avec ceux qui nous connaissaient avant, masqués, parce qu’on a changé, parce qu’ils mettent en doute le diagnostic et le retrait du masque. Être prêt à perdre certaines personnes, ne pas savoir comment ils vont réagir.
Faire face à la discrimination et au validisme.
Ressentir ses émotions de façon plus intense et directe, ce qui peut être épuisant.

Si tu masques
Socialement acceptable MAIS c’est ne pas accepter son soi authentique
Sécurise dans certaines situations MAIS au détriment de la santé mentale
Accès à certaines opportunités, MAIS ne remet pas en question les pratiques discriminatoires ou validistes
Sentiment d’appartenance au monde neurotypique MAIS dissociation avec soi-même
Le masque peut devenir un mode par défaut avec l’habitude, MAIS on n’apprend pas à se connaître ni à s’exprimer
Correspondre aux attentes des autres par rapport à ce que tu « dois » être, MAIS ne pas être ce qu’on était « censé » être
« Tu n’as pas l’air autiste » (ce n’est pas le compliment que les gens pensent)
Ne pas avoir droit aux ajustements parce que tu es « à haut niveau de fonctionnement », MAIS en avoir besoin
Si tu arrêtes de masquer
Te connecter à toi-même MAIS risquer l’aliénation sociale
Entendre que tu simules ou exagères car les gens sont habitués à ta version masquée
Moins épuisement socialement et mentalement, MAIS peut être plus épuisant émotionnellement
Trauma consécutif à un discrimination continue et au validisme
Travailler son auto-acceptation MAIS être moins bien accepté par les autres
Un retour à soi MAIS un processus d’apprentissage pour ceux qui ont passé leur vie à masquer
Plus de services disponibles MAIS être souvent infantilisé ou méprisé
L’impression d’enfin pouvoir respirer après des années à étouffer, mais le monde neurotypique qui essaie aussitôt de te renvoyer dans la boîte écrasante.
Voir aussi
Le faux-self des surdoués
Faut-il s’annoncer neuroatypique ?

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