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La dépression et moi : partie 2 (études)

16-21 ans

Prépa (2013 – 2015)

Seize ans, dix mois. J’entre en prépa. On attend tant de moi. Future élite de la nation. Ethique de travail. Excellence. Étrangement, les résultats moyens sont acceptables, mais les doutes sur la façon d’être, sur l’idéal préparationnaires, non. Il faut travailler, il faut souffrir mais accepter, tout donner, pour après. Devenir libre, intelligent, érudit, sage.

Je ne sais pas ce que je fais là. Je continue. Je suis portée par mon inertie, mon sentiment de ne pas vouloir faire autre chose, par même la satisfaction de mon entourage, la sensation de faire ce qui est attendu de moi, quitte à ce que je ne sache pas quoi faire.

Je continue à vivre, à survivre. J’ai froid, je suis vide, je subis. Je survis. J’ingurgite de la culture légitime que je m’empresse d’oublier, je me saoûle aux distractions qui éveillent un intérêt primal, électrique. Viedemerde, les fanfictions que je lis à outrance pour ne pas penser. Pour me bercer, pour m’endormir. Pour n’être pas.

La réalité est oppressante, prégnante. Je l’ignore tant qu’elle ne s’impose pas, et, alors, l’adrénaline me porte, me donne un « juste assez » qui contente le monde, ou le désespoir et l’anxiété sociale prennent toute la place, et je pleure. Et je fuis. Comme on laisse facilement une jeune fille qui pleure échapper à ses responsabilités !

Mais rien ne change. Chaque crise me donne l’impression que je me rapproche du point de non-retour. Pendant deux ans, je suis persuadée que je n’arriverai pas au bout. Je pense au jour où je refuserai de me lever. Où je n’accepterai plus de tirer ma carcasse fatiguée et ma désenvie hors de mon lit, des couleurs vives de ma chambre, de ma couette safari. Mais il faudrait parler, alors. Supporter le bruit de ceux qui m’aiment et voudraient m’aider. J’ai tant besoin de réduire au minimum les inputs, la pression de la réalité. En continuant, je peux fuir. Je suis en cours mais je pense aux fanfictions, à un autre monde où je n’existe pas, où seules existent ces histoires simples, sociales, charnelles que je ne vivrais jamais dans la réalité.

Je suis épuisée, mais je survis. Je subis, encore et encore, puis c’est la fin. Semaine de révision, seule avec la Connaissance, malgré la présence d’une amie pour me forcer à travailler. Semaine de concours, quarante heures d’examens, de dissertations, de dérivées et de version latine. Soulagement, la réalité n’a pas cours, c’est moi et moi-même.

Cet été-là, je dors, dors, dors encore. Je deviens fatiguée pour toujours.

Ingé (2015 – 2018)

2015. Après mon concours, je n’entre dans aucune des grandes écoles que mon prof principal ambitionnait pour moi. J’ai tant rejeté les valeurs de la prépa que ces débouchés me font peur, et je n’ai pas assez travaillé, je n’ai pas le niveau, je n’ai pas l’habitus, le conformisme de le vouloir.

Il y a un autre concours, moins prestigieux, que mon prof connaît peu. Ecoles d’ingénieurs de l’information et de la communication. De l’informatique, de la psychologie, de l’ergonomie. Une multitude de matières, entre les sciences et les humanités. Comme d’habitude. Cela ressemble à l’image que j’ai créé de moi. J’y vais. Je n’ai pas vraiment de préférence. C’est loin mais peut-être aimerais-je ça. J’aimerais être réveillée, encore. J’ai besoin, envie de changement, avec le tout petit espoir que ce changement me transforme vraiment.

Les débuts sont difficiles. Nouveau décor, démarches, déménagement. Traverser la France en covoiturage avec ma futur propriétaire, ses chats, et un appartement de 14m2 pas encore visité. Je l’aime bien, cet appartement. Sombre et froid mais cosy et chaleureux, en même temps. Je le décore, plein de couleurs, pour habiller ma tristesse, souvent. Premières semaines. J’ai trouvé quelques personnes, quelques contacts auxquels je m’accroche. Un jour je me ferme, je ne parle plus, je suis au bord des larmes, dans le resto U, avec deux filles que je connais encore peu. Elles s’inquiètent, ne savent pas quoi faire, attendent que ça passe. Quelques jours après, debrief : ça arrive parfois, ça passe. Ah, ok, ça nous rassure. Bon. Pas de rejet. Pas de solutions non plus. Comme à chaque crise, j’attends presque inconsciemment que quelque chose change, qu’on me dise si c’est normal ou non, quoi faire.

Je me sens seule. J’ai laissé ma vie sociale, ma famille derrière moi, et les premiers mois sont solitaires. Mon appartement est loin des autres, je sors peu. Je passe mes soirées devant des séries, pas pour me ressourcer mais pour m’oublier. J’ai du mal à me laver, je mange n’importe quoi, je ne sors pas. Je passe mes journées de cours à rêver du soir, de rentrer chez moi, de me soustraire au monde réel. Une fois chez moi, je m’empêtre dans les labyrinthes de mon cerveau, dans mon sentiment d’absurdité, d’improductivité, d’inutilité.

J’écris encore.

Un jour, je les chercherai. Je les poursuivrai, les méandres de mon âme hantée que j’enterre en ces pages. Que, goutte à goutte, j’instille dans mes mots, cachés, au gré du souffle qui me porte, à la merci de la violence qui, toujours, me jette en avant.

Que fais-tu ?

Je me repais de ma folie, je bois mon égarement. Je pleure ma douleur, j’agonise pour ma vie. 

Je trinque à ma mort.

21 septembre 2013

Peur. Peur. Peur. Prégnante. Omniprésente. Peur. Peurs. Pleurs. Souvenirs pour ne pas voir l’avenir, qui l’assombrissent. 

Listes et compilations de choses qui s’agglomèrent sans donner sens à ma vie. Personne pour écouter, ou plutôt personne pour entendre. Pour agir. Pour aider. Pas d’aide possible, peut-être. Souffrance de l’avenir qui s’annonçait meilleur, avenir trop lointain qui disparaît devant la terreur de l’avenir prochain. 

Larmes. Loin d’être des armes, restent inutiles. Et les voix au-dehors dont je me cache ne me cherchent pas, ne me voient pas. Pas lorsque, vulnérable, ils me verraient tel que je crains de me montrer, comme j’aspire à ce qu’ils me voient. Malheureux. Terrifié. Pleurant. Avenir, démon insubmersible, qu’on ne vainc qu’en le transformant en passé. Alors, être vieux. Mourir. Ne plus avoir peur. Ne plus avoir peur. 

Ne plus sentir si fort que rien n’a de sens. N’être plus si poussé à vivre, vivre – terrifiant. 

Haine de l’enfant lâche – mais pourquoi le courage ? Pourquoi le courage… Témérité, intrépidité de vivre. Cécité devant les affres adolescentes. 

Grandirai-je ?

Où était le chemin que je n’ai pas su voir ?

27 juillet 2014

Disparaître. Parce que la réalité est par trop ridicule. Irréelle. Comment pourrait-elle être ? Disparaître, parce que la mascarade a trop longtemps duré. Disparaître, sans même espérer recommencer ailleurs. Il n’y a pas d’ailleurs qu’on ne se soit acharné à reconstruire, transformer, et rendre ridicule. L’homme est partout, même dans la nature profonde, parce qu’il l’a vue et en a parlé. L’a donc contaminée. 

9 novembre 2014

Parfois je rêve de réaliser un grand projet juste pour m’assurer que j’en suis capable. Que je ne suis pas qu’une coquille vide. Que je pourrai grandir. Mais je ne sais rien faire d’autre que ce que j’ai toujours fait : pleurer, écrire, et suivre la route que d’autres me montraient, me disant que j’y serais si bien. 

25 février 2015

Aujourd’hui ma tristesse m’est devenue vulgaire, vide, plus de cris, plus de mots, seulement des images vagues et rebattues de la souffrance des autres. Ces autres ne sont plus les maudits auxquels j’ai tant aspiré, mes pensées sont devenues éparses et triviales. Je grandis, peut-être. Peut-être assisté-je en direct, avec seulement une vague réminiscence de mon effroi ancien, à mon passage cet âge adulte tant espéré et si honni, cet âge du compromis indécelable, de la facilité d’esprit, du cliché, de la conformité qu’autrefois je croyais communs à l’enfant et à l’adolescent grandi, évaporé. De Jedusor le sombre, le hanté, le fascinant, deviens-je Voldemort ?

3 août 2016

3 réponses à « La dépression et moi : partie 2 (études) »

  1. Avatar de Marie Neyron
    Marie Neyron

    Quelle période perturbée et si perturbante à lire pour ta maman

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    1. Avatar de Haut Potentiel d'Aventure

      Je ne savais pas de quoi j’avais besoin, mais j’ai toujours su que vous étiez là…

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  2. Avatar de Introvertie extravertie – Haut Potentiel d'Aventure

    […] frères et sœur, pendant une semaine entière de vacances. Regarder Dexter quinze heures par jour. Ne pas se laver ou sortir de l’appartement pendant une semaine. C’était au dixième étage : je m’amusais – riais jaune, humour noir – de […]

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