
Les difficultés liées à la neuroatypie
Il y a plein de challenges spécifiques à la conduite pour les neuroatypiques. En plus des difficultés de l’apprentissage en auto-école (difficultés sociales avec le moniteur, compréhension des consignes, etc), il peut y avoir des difficultés intrinsèques à la conduite, par exemple :
- Difficultés de perception dans l’espace
- Difficultés de processing et de temps de réaction
- Anxiété
- Difficultés par rapport aux règles pas toujours suivies (certains autistes, par exemple, ont du mal avec le fait que les autres conduisent mal, trop vite, passent à l’orange, etc.)
- Difficultés de concentration
- Difficultés d’orientation
- Vision des détails et pas de la situation d’ensemble
- Impulsivité et préférence pour la vitesse dans le TDAH
L’expérience de la conduite peut cependant être très différente d’une personne à l’autre, car les ressources nécessaires et les difficultés pourront être très différentes. Certains aiment beaucoup la voiture car c’est un espace de tranquillité, un refuge, une occasion de gérer ces influx (musique en boucle, podcast, silence…), car ils apprécient l’expérience sensorielle. Certains vont avoir des difficultés à se concentrer sur les éléments pertinents pour la conduite, vont penser à autre chose (c’est mon cas), mais d’autres, qui aiment l’expérience, vont pouvoir faire de l’hyperfocus sur leur conduite, visualiser leur espace, savoir où sont toutes les voitures, les obstacles, etc.
Personnellement, j’ai trouvé l’apprentissage très stressant socialement, et la conduite reste une expérience pas toujours facile, même si moins désagréable qu’avant, car j’ai du mal à me concentrer sur tous les éléments : j’oublie ma vitesse, je ne vois pas les panneaux de limitations, ni les radars, ni les voitures de police. Par ailleurs, si un élément nouveau surgit, j’angoisse assez vite. C’est par exemple le cas pour une route que je ne connais pas, si je me perds, si la route a changé, si je dois me déporter pour laisser passer une ambulance…
Mon expérience de l’apprentissage de la conduite
J’ai commencé l’apprentissage du code quelques mois avant mes seize ans, et c’était vraiment la partie la plus simple (même si les QCM du code de la route sont vraiment, à mon avis, l’exemple de la stupidité des QCM qui ne demandent qu’un peu de bon sens).
J’ai fait une conduite accompagnée française, c’est-à-dire, à partir de seize ans et de l’obtention du code, des leçons de conduite, puis de la conduite supervisée par les parents jusqu’au passage du permis après 18 ans.
Les leçons ont été une épreuve. Dès le début : être appelée par l’auto-école, fixer une date, fixer rendez-vous devant le lycée. Leur demander le modèle à chercher (très fière de l’avoir fait !), et chercher désespérément, en sachant que je reconnais mal les visages. Préparer l’interaction « Bonjour vous êtes de l’auto-école XetY, moi c’est Noémie », se préparer à ce que ce ne soit pas la bonne voiture, ou que ce soit la bonne.
Une fois dans la voiture, essayer de comprendre ce que veut dire « installe-toi et règle ton siège en position confortable », comment régler les rétroviseurs (j’ai passé la première leçon à fixer le reflet en mode nuit sur le rétro central, sans le savoir). Prendre le volant, essayer de faire la conversation, se demander comment s’appelle le prof, j’ai oublié, se demander si je dois le tutoyer ou non, être mal à l’aise parce qu’il est trop près, parce qu’on est devant mon lycée, parce que je ne veux pas être là.
Les premières leçons, je ne touche que le volant, j’ai beaucoup de mal à me représenter la taille de la voiture dans l’espace, j’ai l’impression d’être tout à la fois trop à gauche et trop à droite, au milieu de la route et dans le fossé. Quelqu’un me dit qu’on n’est censé n’avoir que le volant que quelques minutes, je crois qu’il me faut trois séances. Bon.
Après, les vitesses. Quand le moteur fait du bruit, on monte. Mais quand je demande à quoi on reconnaît qu’il faut rétrograder, ce n’est pas très clair. Une fois, je rétrograde car j’ai un peu ralenti. Le moniteur me demande, l’air fort surpris, pourquoi j’ai fait ça. Je n’en sais rien, comme d’habitude, j’essaie juste de faire du mieux que ma confusion m’autorise.
Les réflexes mettent incroyablement longtemps à venir. Encore aujourd’hui, il m’arrive d’oublier, de perdre mon réflexe, de changer de vitesse sans embrayer – je m’étais fait engueuler pour celle-là, en leçon, on m’avait parlé de 1000€ de dégâts ! -, de passer la marche arrière au lieu de la cinquième, de redémarrer en deuxième, d’oublier de surveiller que je tiens ma voie, que je ne vais pas trop vite ni trop lentement.
Socialement, c’est compliqué. Surtout à seize ans, seule avec un homme adulte, dans un minuscule habitacle. Je suis mal à l’aise. J’arrive mal à l’aise d’avoir dû prendre rendez-vous, trouver la voiture, d’avoir fait attendre parce que je n’avais pas compris qu’il était là, chez mes parents, car il n’avait pas sonné. J’ai eu, en tout, six moniteurs différents, deux que j’ai apprécié, un qui m’a particulièrement mise mal à l’aise. Mais si j’arrive à communiquer, que je rentre dans une vraie discussion, je ne peux plus conduire : je n’ai pas assez de concentration pour faire les deux. Vite, j’apprends à me taire. Je ne pose même pas mes questions légitimes. Au bout de deux ans de conduite accompagnée, je ne sais toujours pas régler mes rétros, et je ne m’en rends pas compte, car je ne sais pas quand regarder dedans : je ne m’en sers jamais.
À dix-huit ans, je reprends quelques cours juste avant mon permis. J’ai fait peu de kilomètres en conduite accompagnée : je n’habitais pas chez mes parents, et je rentrais rarement le week-end, car je finissais à quatorze heures le samedi et j’avais peur de rentrer et de devoir conduire. C’était devenu une menace, une bataille permanente avec mes parents et surtout avec moi-même.
Décembre 2014. Je viens d’avoir dix-huit ans, c’est le premier jour des vacances de Noël, un samedi matin glacial. Je suis d’une humeur horrible, au bord du trop. J’ai le moniteur que je n’aime pas. Je fais n’importe quoi, il me demande pourquoi je suis si peu à l’aise, si je conduis chez moi, que sais-je, je ne me souviens pas bien. Je me referme de plus en plus, je suis de plus en plus loin. Il me fait tourner dans un terrain vague. Ma jambe gauche tremble. Je suis au bord des larmes. Je suis à l’arrêt mais je ne me tourne pas vers lui. Il m’engueule. Me fait remarquer que je tremble, que j’ai peur. Me dit qu’il faut être pragmatique, que si je veux mon permis je dois jouer le jeu, que s’il avait dû « faire l’hélicobite sur le toit de la voiture » pour avoir son permis, il l’aurait fait. Je m’enfonce dans ma panique. Je pleure vraiment, cette fois. Il a raison, pourtant, et je me force déjà du plus que je peux, pour mettre ça derrière moi, pour avoir cette foutue carte rose et ne plus jamais l’utiliser.
On repart. Je suis en dissociation totale. Je survis. Je suis chez moi. On me demande comme c’était. Je réponds à peine, et c’est la goutte de trop, je fais tout le temps la gueule, je ne suis jamais contente. Je fuis, je m’enferme dans la salle de bain.
J’échoue aux urgences pour « détresse psychologique ».
Bon.
Conduire aujourd’hui
Ça va mieux. D’abord parce que je conduis seule. Que je connais ma voiture, que je connais la route que je prends tous les jours. Que j’ai une voiture à moi que je n’ai pas peur de rayer en me garant, je me fiche complètement des rayures – j’ai peur de celles des autres, mais on se rassure comme on peut. Quand on sort de cette zone de confort, c’est plus compliqué. Conduire la voiture des autres, notamment celle de mon copain à laquelle il tient beaucoup, c’est non. Conduire pour aller dans un endroit inconnu, sans savoir où tourner, où me garer : l’angoisse.
Le reste, je gère. Même quand j’ai dissocié et que je suis au milieu de la route, quand on me klaxonne sans que je sache pourquoi, quand on me fait remarquer un feu cassé depuis je ne sais pas quand.
Ça va.
Une petite mésaventure en voiture : mon test TSA

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