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À quinze ans, j’ai ouvert un blog parce que j’étais malheureuse

photo de profil : arbre peint

Réflexion sur l’écriture

À quinze ans, j’ai ouvert un blog. Un blog pour partager mon écriture, mon mal-être, pour tenter de communiquer avec le monde.

J’y ai publié des poèmes, des extraits de mes pensées (le cahier dans lequel j’écrivais alors, que je me refusais à appeler journal intime).

J’ai mis en place une stratégie pour le partager, avec des inconnus seulement. Grâce à Facebook, mais sans jamais lier mon compte personnel, que ma famille et mes amis pouvaient voir, et ce nouveau personnage. Il s’appelait Epitaphe. Comme vous vous en doutez, ce n’était pas vraiment joyeux 😀

Je n’ai jamais vraiment eu de visites ou de commentaires sur ce blog. C’était un cri dans le vide, un appel au secours que personne ne devait voir. À communiquer sur Facebook, j’ai vite découvert que le nombre de pages semblables, pleines de poésies d’adolescents sombres, était énorme. Personne ne perçait, on n’était lu que par ceux qui, comme nous, rêvait d’avoir un retour sur leurs mots. D’enrayer leur souffrance. Ne pas être seul.

L’idée était assez proche de ce que je vois aujourd’hui dans les groupes d’atypiques, mais sans identité commune, offerte ou assumée de soi-même. Pas de douance, de trouble, seulement la souffrance qui légitimait ces ados, incompris.

Et j’étais comme eux. Pourtant je ne me sentais pas en communauté. C’était la tristesse en parallèle, sans aide possible, sans échanges. La souffrance par le truchement factice d’un alexandrin parfois maladroit. Des commentaires sur le style, sur Facebook, quand je rêvais désespérément de retours sur le fonds, et d’aide. D’un sauvetage, d’une voix qui répondrait sans être aussi prévisible et clichée que toutes les autres de ma vie quotidienne.

Car on ne m’ignorait guère. Tant voulaient m’aider.

J’étais inaccessible, pourtant. Dans ma tour de soufre.

Hautaine mais à terre, roulée en boule, attendant le prochain coup qui ne venait toujours que de mon esprit.

La contrainte du réel.

Écrire pour survivre, en sentant bien l’ambivalence du processus (voir Ecrire). L’ambivalence des mots, l’ambivalence de la communication sans destinataire, avec ce destinataire vague et inexistant qu’est le lecteur.

J’ai eu un blog. Un fond sombre, un loup qui hurle à la lune en fond de page (ce fond a malheureusement et mystérieusement disparu aujourd’hui !). Des symboles que je trouve aujourd’hui convenus, que je trouvais peut-être déjà ainsi, mais comment partager, quoi choisir ? Trouver ses propres symboles, tout en pouvant communiquer.

Extraits choisis.

Mots que j’aurais aimé voir commentés. Sur lesquels il fallait que quelqu’un rebondisse, et qui amplifiaient le silence.

Mais rassure-toi, petite fille trop grande, le cahier suivant t'attend déjà, je ne suis pas prête à te laisser mourir, je t'aime un peu, vois-tu, tu es celle qui m'a un jour fait croire à la grandeur de l'homme, et fait ressentir la joie douce-amère de l'absolu. Tu m'abandonnes, je te regrette, mais ce n'est pas à toi que j'en veux. Cette obscure entité que j'appelle moi se prête plutôt bien à tous les reproches. Elle est la structure, la contrainte, le maître d'orchestre qui t'abrite et te dirige, toi, Claire, Espérance, Carlie, Ondine, les autres, les pleurs, l'esprit, le corps. L'humeur. Moi, c'est ce donné, cet immonde arbitraire qui ne saurait répondre à la raison, un inconscient peut-être, qui m'assaille des images sombres, des imaginations morbides ou par trop vivantes, des pensées-litanies.
Je les entends encore : les chiens, le vent, le ruisseau où elle se jette. C'est, je crois, la Guerre d'Eliane, qui me fournit cette image qui, comme toutes les autres, ne m'appartient pas. Est-ce là une théorie du moi ? En réalité, qu'importe, j'ai la curiosité gâtée, la connaissance blasée, depuis longtemps les « je-m'en-fous » sont la réponse simple à apporter aux moments où l'on devrait devenir autre, et grand, et vrai, tous ces termes grandiloquents que je hais par préjugés, d'une haine aussi commune qu'eux-mêmes.
Submergée par les pluies de sang, écrasée sous les semelles des impitoyables géants, je rêve. Rêve d'une vie impossible que j'aime plus que celle qui m'a été donnée.
Je rêve à jamais, à jamais incapable de distinguer le rêve de la réalité.
Je n’ai plus seulement de larmes. Celles qui autrefois coulaient sans que je pusse les retenir ne sortent plus aujourd’hui. J’ai atteint ce moment où ma propre infortune ne m’émeut plus. Où ma vie a cessé d’avoir quelque espèce d’importance à mes yeux, cédant la place à ce substitut doré qui hurle dans ma tête. J’ai si mal. De cette vie vide et flottante qui m’écœure. Je ne souhaite pas tant mourir qu’être heureuse. Atteindre ce Saint Graal que je vois miroiter dans les yeux des autres. Me faudra-t-il le leur arracher pour ne serait-ce qu’effleurer leur félicité ? Me faudra-t-il souffrir, jusqu’à atteindre un état dans lequel je ne pourrais plus reculer, duquel la seule issue sera la mort, mort que j’accepterai avec, sinon joie, renoncement, et soulagement.
Ô cris de la Mer
Aux pères de la Terre
Esprits éternels


Douceur d’un matin
Noirceur du sourire
Ombre sur ma vie


Souvenir maudit de l’enfance
Pleur nouveau à jamais répété
Mélancolie monotone

De profundis ad te clamavi, cerebellum. Ad te quoque, lector.

(Parce que le latin n’est pas plus cliché que le loup et la lune, hein !).

Aujourd’hui, je fais tout pour partager. Le blog, le livre. Parler, ne plus m’enfermer dans ma tête. Et vous savez quoi ? Les réponses n’ont été que positives, surtout de la part de ceux dont j’appréhendais la réaction.

PS : voici le lien. J’aurais bien dit « si vous voulez rigoler », mais c’est trop triste et pas assez cringe, je crois. Ça l’est un peu, bien sûr, mais principalement, j’éprouve de la compassion pour cette jeune fille perdue.

4 réponses à « À quinze ans, j’ai ouvert un blog parce que j’étais malheureuse »

  1. Avatar de Laurent
    Laurent

    Mais c’est absolument MAGNIFIQUE ce que vous écriviez à 15 ans!
    Jugez plutôt mon très mauvais poème de mes 17 ans :

    Je me promène sous les larmes du ciel
    Pensant : « mon silence est défaut »
    Vénus est belle, Vulcain l’a gardée
    Être absurde, Enfant immature
    Borné, avachi, vide de passion!
    Qui dans ce monde comprendra?

    Larmes du ciel, je suis seul!
    Vénus est belle, je suis seul!
    Erreur? Vénus est belle, Vénus est bête!
    Je suis seul

    Monde absurde, il tourne autour du Soleil!
    Une ellipse? En rond! Je suis seul
    Les larmes tombent, ne s’arrêtent jamais,
    Me font mal, me guérissent
    Vénus, tu ne t’appelles plus Vénus!
    Erreur!
    Qui es-tu? Un être comme un autre
    Appartenant à ce monde, bien bas!
    Non, tu n’est pas Vénus

    Les larmes tombent
    Elles feraient du bien à tout le monde
    Homme, réfléchit un peu
    Sur Terre, tout ce qui nous entoure
    Regarde, Écoute
    Tu ne riras plus, obligé
    Tu souriras tout le temps.

    À ma décharge, je passais plus de temps à composer de la musique. (en moyenne 10 oeuvres par an dont des symphonies, des petits concertos, une missa brevis…….)
    Imaginez alors que la musique (savante) (c’est sûr que j’aurais eu plus de succès si j’avais chanté en grattant trois accords à la guitare) est beaucoup moins connue, moins comprise, et beaucoup moins réceptive que l’écriture de textes,
    et vous aurez une idée de l’immense solitude qui a accompagné mon adolescence. Cependant, l’inconscience de nos comportements, et surtout la passion générale et la passion des nouvelles découvertes (chaque nouveau compositeur découvert m’octroyait un élan supplémentaire) aident à traverser cette période délicate (prix payé hélas plus tard)
    Mais je compatis que des êtres comme nous soient sacrifiés sur l’autel de la « société du spectacle », mais nous pouvons tenir facilement, car c’est nous qui avons raison, la pensée et l’intelligence sont avec nous. Et dans toute société de dévotion et de légèreté, lorsque cela va mal (et un jour, cela ira mal), les gens médiocres se tourneront alors enfin vers les sachants, comme des enfants qui reviennent penauds vers leurs parents après avoir tout joué et tout dilapidé. Et nous sommes en fait ces adultes dans un monde d’enfants.
    Pour le moment, la société tient parce qu’elle a trouvé le pétrole……mais un jour, il n’y en aura plus…….
    Il sera remplacé par l’atome, ce qui ne sera pas sans poser quelques écueils nouveaux…….

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    1. Avatar de Haut Potentiel d'Aventure

      Il y a bien des thèmes en commun !
      J’ai fait un certain deuil de ces textes qui ont fini par ne plus venir si facilement, qui avaient une certaine qualité pastiche, qui étaient de la souffrance en écriture automatique.
      J’espère bien que personne ne viendra me demander de sauver le monde comme sachante. Une bien grande responsabilité, pour l’instant je me contente de voir l’absurdité sans voir émerger de plan de secours.
      Peut-être qu’un jour je me sentirai assez dans le monde pour me permettre un avis sur tout, plutôt que paralysée par les questions politiques.
      L’aventure humaine…

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      1. Avatar de Laurent
        Laurent

        Oui, je comprends. Je faisais également des pastiches. Chacune de mes compositions de jeunesse transpire le style des compositeurs que je découvrais au fur et à mesure (et encore maintenant, je suis en fait très influencé). L’âge, sans doute. Normal tout cela. (Et le fait d’être autodidacte aussi)
        Inutile de se sentir dans le monde pour avoir les solutions, car les solutions sont dans un mélange de connaissance (vive les livres!), de sagesse, d’intelligence (liens entre les connaissances dans un but de santé collective) et de modération. Les HPI ont normalement tout cela (enfin surtout connaissance et intelligence!)
        « Sauver le monde » est un vaste programme en effet, et j’espère également que personne ne me projettera dans cette responsabilité dont je n’ai absolument pas les épaules. En fait, je parlais juste des idées techniques, c’est-à-dire que les penseurs sont là pour penser, voire conseiller, et la responsabilité d’agir repose sur celles et ceux qui en ont les moyens et les capacités (toutes autres et tout aussi techniques et méritantes). Tel est le principe du jeu collectif. Pour le moment, il n’y a déjà pas de dialogue entre les penseurs et les acteurs. Et il est fort rare qu’un penseur sache agir et inversement. Car l’action coupe justement le circuit neuronal de la rétroaction en vue d’un résultat optimum (d’où tous les concerts de mauvaise foi une fois le « mal agir » réalisé) (cf Dan Ariely).
        Et, la maladie principale de notre société est qu’elle est encore basée sur le mythe du « Sauveur » qui fera TOUT quand cela ira mal (événements historiques à l’appui : -480, 0, 1429, 1917, etc…..) (cf Edgard Morin, Constandinis Castoriadis). Ce mythe étant gravé à la fois dans ce collectif « d’idiots moutonniers » (cf La Boétie, Gustave Le Bon) et chez certains individus psychotiques convaincus de porter une « mission divine » (cf C.G Jung, Gregory Bateson et l’école de Palo Alto sur les psychoses sociales). Grave erreur d’interprétation, grave erreur d’analyse qui fait en fait passer à côté de ce qui sauvera vraiment le monde : chacun à sa place en fonction de la place que chacun peut avoir, de ses compétences, de ses aspirations, le tout étant d’articuler efficacement ces individualités pour un but collectif bien défini, en articulant les parts de libertés et de devoirs. (Vraiment pas simple comme équation!)
        Quant à « l’avis sur tout », je ne fais en fait qu’essayer d’articuler les connaissances disciplinaires entre elles dans le seul but d’une éthique collective (cf Kant, Diderot), mais en m’appuyant toujours sur les épaules des géants que je cite constamment, le mérite de leurs travaux leur revenant amplement ; rien de bien méchant ni d’exceptionnel en fait, je suis un simple transmetteur d’informations vérifiées et recoupées. Telle est ma part du colibri……. Essayez, cela pourrait vous donner justement une place plus agréable dans le monde, plus optimiste, tout en conservant la discrétion et la protection sociale nécessaire. Car il existe en fait tellement de possibilités d’organiser une Vie, c’est juste que le « collectif » joue à des jeux dangereux en fait……et en cela, nous n’y sommes pour rien!

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  2. Avatar de La dépression et moi : partie 1 (9-16 ans) – Haut Potentiel d'Aventure

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