J’avais vingt-cinq ans et je m’ennuyais au travail. Mon bore-out m’avait convaincue de retourner voir un psy, après une mauvaise expérience à seize ans. Cette psy qui m’avait fait passer le test pour le HPI, qui m’avait suggéré aussi de faire un test sanguin et de voir un psychiatre pour éliminer des causes médicales ou hormonales à mes humeurs tristes.
Il n’y a qu’un psychiatre à des kilomètres à la ronde. Je vis dans un quasi-désert médical. Il a de l’expérience, probablement la soixantaine, il a le bureau d’un érudit, avec des livres partout, parfois en piles sur le sol.

Il me demande pourquoi je suis là, et c’est ma hantise à chaque nouveau psy. Le moment de se décider, de se présenter, d’être une facette de soi qui a besoin d’aide et qu’on peine à mettre en mots. Et qui ignore les autres facettes, les autres problèmes. Un nouveau psy, on se réinvente en restant toujours vrai.
Je lui explique ma démarche. Je ne sais plus trop de quoi on parle. Je reste assez longtemps, je crois, peut-être 45 minutes ou une heure. Il est affable, intéressant, charismatique, il me raconte des anecdotes, je crois. Il n’est pas pour la médication à tout prix, ce qui rassure mon côté terrifié à l’idée de changer, de me perdre.
Et puis il lance la bombe. J’ai besoin d’une activité, et d’une conviction. Si j’avais un enfant, et/ou si je rencontrais Dieu, j’irais mieux.
Mon cœur se serre un peu. Je me dis qu’il a sûrement raison, mais que si je pouvais rencontrer Dieu au Mcdo du coin, ça se saurait. Je suis de base plutôt cartésienne (quoique), j’ai été élevée dans la foi catholique, de façon un peu relâchée. J’ai fait du catéchisme, ma communion, je connais plein d’histoires de la bible et de parcours de saints, que j’ai dévorée enfant comme, respectivement, des contes et des histoires d’aventures.

Mais je n’ai jamais cru. J’ai prié avec ferveur, à neuf ans, en préparant ma communion, pour ressentir quelque chose, n’importe quoi, pour penser comme les autres et ressentir comme les autres cette présence divine, cette non-solitude.
Mais je n’ai jamais cru. Cela me paraissait si absurde et si vain. La foi me paraissait si évidemment faite pour policer la vie en société et pour rassurer les manants en désespérance devant la dureté de la vie et l’inéluctabilité de la mort.
Au fil des années, je me suis ouverte un peu plus à la partie du monde qu’on ne peut pas facilement expliquer, ou pas encore, et j’ai déchanté absolument de l’absolutisme de la science dont je ne doutais pas à l’époque. Enfant, je pensais qu’un jour, je connaitrais tout, ou pourrait tout connaître, et le schéma formé dans mon esprit était tellement logique et évident, réunissant les états de l’eau, la géographie, l’histoire, les mathématiques… Tout était beau et logique, à défaut d’heureux, parfois.
Pourtant, je ne crois pas en Dieu. Pas en un Dieu qui serait une entité douée de volonté, de préscience, d’intention. Je crois en la beauté, en le sublime de la révélation, de la connaissance, pour en avoir parfois fait la glorieuse expérience. En la beauté de la poésie, parfois. J’ai un jour fait un formidable hors-sujet en rédaction, lorsqu’on nous demandait de défendre ce en quoi nous croyions, en faisant un texte sur la poésie, car je ne voyais aucune vérité à défendre. L’exemple donné était d’ailleurs de défendre l’évolutionnisme dans un dialogue avec un créationniste.
Mais, indépendamment de ce qu’on pense de la foi, je suis amusée par la notion de trouver la foi comme item sur une ordonnance, comme si l’idée ne m’était jamais venue, comme si je n’avais jamais souhaité croire en Dieu. Comme si c’était si simple.
Et les enfants ! Bien sûr qu’un enfant m’occuperait. Il donnerait sûrement même un peu de sens à ma vie, et diminuerait le temps que je consacre à des ruminations sombres.
Mais pauvre enfant ! Et pauvre moi, qui voulais vivre l’aventure, me découvrir, faire le chemin, à qui on colle un enfant comme on colle une tétine dans la bouche dudit enfant lorsqu’il hurle.
Chut, chut, petit enfant, entre dans la société, plie-toi, deviens quelque chose, et non quelqu’un. Tu te poseras des questions plus tard, lorsque tu n’auras plus le choix.
Et rappelle-toi : aide-toi, le ciel t’aidera !

Je pense qu’on pourrait écrire des livres entiers avec les expériences ratées de thérapie. Je suis sarcastiquement curieuse et empathiquement triste de découvrir les vôtres, si vous voulez bien les partager…

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