Mon expérience avec l’hypnothérapie, partie 1

psychédélique

Partie 1 : le traumatisme

2013.

J’ai seize ans, je suis en terminale. Un jour je m’effondre en cours d’allemand : pendant que tout le monde se concentre sur une compréhension de texte, il faut se rendre, chacun son tour, au bureau de la prof, pour un oral blanc de cinq minutes sur un thème imposé et préparé à l’avance.

Cette fois-là, le thème est l’amitié : für mich ist ein Freund jemand, der…

Je bloque. Nous avons déjà écrit un texte, il suffit de le réciter, par cœur. Je ne suis pas très à l’aise avec le par-cœur. Je préfère les notes très succinctes, bouées de mes improvisations souvent acceptables, dont je ne me souviens guère ensuite. Je pleure. Je vais me rasseoir, on me tend un mouchoir, je finis mon devoir écrit, bien plus confortable.

Ensuite, j’évite les discussions avec la prof. Je ne veux pas prendre rendez-vous pour un deuxième oral blanc. Des fantasmes de me couper la langue m’habitent pendant plusieurs mois. Pour que la prof me lâche, je lui indique, en marmonnant dans ma barbe, que j’ai pris rendez-vous avec le psy scolaire pour résoudre mon problème. Spoiler alert, mon problème n’a pas été résolu par le psy, et j’ai juste fini par répondre à la prof que je ne voulais pas d’un oral blanc, quand elle a eu la bonté de me proposer d’oublier. Pour le vrai oral, avec mon temps de préparation, mon brouillon dégueulasse avec quatre lignes dessus, aucun problème.

2013.

J’ai échoué dans le bureau du conseiller d’orientation-psychologue. Il me dit que j’ai un profil généraliste, diversifié, et que si j’ai des bonnes notes en maths, c’est que je dois les aimer, et je lis aussi beaucoup ? Je dois donc étudier les maths, et lire des livres à côté ! (Ce formidable enterrement de ma foi dans le fait d’être aidée par les adultes vous est raconté ).

Je lui parle quand même de mes problèmes d’oraux germaniques, je crois. Ou je me mets à pleurer, ou j’ai juste l’air de ce que je ressens : vide, morte, angoissée. Il appelle ma mère, j’échoue chez une psychologue en libéral.

2013.

Je n’accroche pas avec la psy. Je ne lui dis rien de moi, et elle ne pose jamais les bonnes questions. Elle est cliché, elle ne comprend rien, j’ai surtout l’impression qu’elle ne cherche pas à comprendre, qu’elle n’effleure jamais ne serait-ce que le sommet de ma souffrance. Elle ne demande pas pourquoi mes bras sont griffés. Ce que je ressens. Le froid, le désespoir. Les mots que j’écris pour survivre, pour attendre qu’un jour, miraculeusement, j’aille mieux, j’aie envie de vivre, j’aie cet enthousiasme que je lis dans les livres et qui me reste étranger.

Avant-dernière séance avec cette psy. On doit être en mars ou en avril. Mars, je crois que c’est l’anniversaire de mon grand frère, ce soir-là. Le jour où elle teste sur moi l’hypnothérapie.

Il ne se passe pas grand-chose. Une sorte de relaxation, d’exercice de respiration, je ne me sens pas partir, je ne me sens pas soumise à sa volonté, comme dans les spectacles à la télé qui me mettent mal à l’aise. En écrivant cela, je réalise à quel point elle ne m’avait rien expliqué, ou je n’avais rien écouté.

hypnose pleine de couleurs
C’est vraiment, vraiment pas aussi psychédélique

Il faut trouver un espace sûr en soi, pour y revenir quand l’angoisse est trop forte. Il faut arroser, prendre soin d’une fleur, en nous, qui nous représente, qui représente notre bienveillance envers nous-même. Mon esprit dérive. La fleur est une immense marguerite qui me protège, dans laquelle je somnole, en position fœtale entre ses pétales.

Elle continue son parcours et je continue à m’en éloigner. Je crois qu’elle me demande ce qu’est ma fleur, mais comment expliquer mieux qu’en disant, d’une voix étranglée par les larmes, « une marguerite » ? Comment prétendre que j’arrose cette fleur qui me protège ? Comment accepter de sortir de cette fleur pour répondre à la voix de cette femme qui, j’en suis persuadée, ne peut pas m’aider. Cette femme qui représente ma solitude absolue, mon incapacité à me connecter à quiconque, mon incapacité à me laisser aider.

Et puis c’est bientôt la fin. Il faut sortir. Elle me dit de revenir à moi, d’ouvrir les yeux quand je serai prête.

Et je ne serai jamais prête.

Je ne serai jamais prête.

J’ai froid. Le soleil est visible à travers mes paupières, mais j’ai froid, l’obscurité est plus chaude, je ne veux pas ouvrir les yeux. Je ne veux plus jamais ouvrir les yeux. Retourner faire semblant, dans ce monde qui est censé être la réalité mais qui n’est qu’une immense contrainte froide.

Je ne veux plus jamais ouvrir les yeux. Je veux rester pour toujours dans la chaleur de la fleur, de l’obscurité, du silence, et que sa voix s’arrête.

Ouvre les yeux quand tu seras prête.

Je ne serai jamais prête.

Mais, comme d’habitude, je suis pragmatique. Le monde réel m’a brisée une fois de plus.

Les larmes coulent à travers mes paupières fermées.

Je ne veux pas ouvrir les yeux, mais je n’ai pas le choix. Ma mère attend dehors, les cinquante minutes sont presque écoulées, j’ai cours de philo dans une heure. Je dois ouvrir les yeux, et supporter le froid. Je dois parler, exister, être au monde, être aux autres.

Alors j’ouvre les yeux. Contre tous mes désirs, tous mes espoirs.

J’ouvre les yeux comme si le monde devait toujours gagner, m’imaginant que je casserai un jour, que je ne les ouvrirai plus. Pendant des années, c’était le seul changement à ma condition que je pouvais imaginer : refuser. Ne plus me lever. Ne plus répondre. Ne plus ouvrir les yeux. Ignorer tout.

L’impuissance absolue.

J’ai ouvert les yeux.

Ma mère et la psy parlent. Je fixe la fenêtre à ma droite, elles sont à ma gauche. J’ai les yeux plein de larmes. Ma mère est émue, aussi, au bord des larmes, je crois l’entendre, c’est dur de la voir comme ça.

La psy ne me demande pas ce qui ne va pas ou ce qu’il s’est passé. Je ne sais pas si j’aurais pu expliquer. Pendant des années, je resterai fixée sur le fait qu’elle n’ait rien demandé. Sur l’horrible sensation d’arrachement, de résignation et d’impuissance face à la force de la réalité.

Le livre l’Expérience de la fragilité sera habité par cette expérience. L’héroïne se réveille d’un viol, les yeux fermés encore, le temps de comprendre, le temps de décider de la suite. Elle se laisse couler, comme j’ai hésité à le faire. Dix ans plus tard, j’en parlerai ainsi, à demi-mots. L’expérience de l’impuissance et du rouleau-compresseur de la réalité qui ne peut faire autre chose qu’exister.

J’y suis retournée une dernière fois, deux semaines plus tard. Je lui ai dit vouloir arrêter, et sans me demander de débriefer l’expérience, elle m’a indiqué que je faisais preuve de mauvaise volonté, et que je ne voulais pas aller mieux.

Ce soir-là, mes frères excités m’ont demandé si l’hypnose, c’était comme les spectacles à la télé.

Une réponse à « Mon expérience avec l’hypnothérapie, partie 1 »

  1. Avatar de Des années de thérapie – Haut Potentiel d'Aventure

    […] que je m’efforce de ne pas utiliser à tort et à travers, je dirais traumatisée. Cette psy et l’hypnose, ce psychiatre qui m’a laissée repartir sans autre recommandation que trouver Dieu, et faire […]

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