Ou : Je ne crois à rien
Il paraît qu’on ne sait qu’une chose, c’est qu’on ne sait rien. Des millénaires de philosophie pour en arriver là.

Descartes, après avoir déconstruit tout l’univers visible et dont on peut faire l’expérience comme improuvable (car les illusions existent), en arrive à la seule vérité qu’il peut assumer :
Descartes, Méditations Métaphysiques (1641)
« Cette proposition : Je suis, j’existe, est nécessairement vraie, toutes les fois que je la prononce, ou que je la conçois en mon esprit.«
Vous saviez qu’il s’en sert pour prouver l’existence de Dieu ? L’idée étant qu’une telle évidence, ressentie comme évidence, ne peut venir que de Dieu, et que l’idée même de la perfection de Dieu, puisqu’on peut la concevoir, implique l’existence, car Dieu serait imparfait s’il n’existait pas (lol, pour ma part. Mais bon, partons du principe que j’ai manqué un aphorisme).

Il devait être bien embêté, Descartes, après avoir affirmé, justifié qu’aucune réalité tangible n’était certaine. De là, aucune conclusion directe n’était certaine. Donc rien n’était certain, rien n’était vrai, peut-être ? Mais si ! Loin de la preuve scientifique, la seule vérité dont on puisse être certain, c’est notre propre existence. Mais pas en général : l’existence, au moment même où on en fait l’hypothèse, car sans existence, pas de pensée de l’existence. Autrement dit, même si on ne sait pas ce que je est, il existe une entité, d’une nature débattable, qui énonce : « je suis, j’existe, en ce moment même ».
Est-elle la même qu’il y a cinq minutes ? Est-elle une unité, est-elle morale, est-elle libre, est-elle créatrice, est-elle éternelle ? On ne sait pas, on ne peut rien prouver. Mais qu’elle existe, oui.
Voilà, voilà, on fait quoi maintenant ? En cours d’épistémologie, on apprend que la science n’est pas fiable. En philosophie, que la raison ne peut rien prouver. En psychologie ou sociologie, qu’on est déterminé, ou influencé, par mille effets complexes et dont la détermination n’est pas linéaire.
Alors tout peut-être vrai, tout peut-être faux. Et moi je me demande comment quiconque peut avoir des certitudes.
Comment un homme politique peut débattre et défendre son point de vue, comme seule solution possible ?
Comment une religion peut défendre ses idées et sa foi, comme seules solutions possibles ?

Comment quiconque peut croire à quoi que ce soit ?
On se moque gentiment des enfants qui croient au Père-Noël, mais on en est tous là. C’est quoi votre Père-Noël ? Une idéologie complète, comme le marxisme ou le capitalisme ? Un ensemble construit, au fur et à mesure de votre vie ? Des valeurs « core », dont vous ne déviez pas ? C’est quoi ? La gentillesse, la tolérance, la morale, l’intelligence ?
Il paraît que la connaissance, c’est se tenir debout sur les épaules de géants, et être plus grand en s’appuyant sur l’ensemble des connaissances passées. Il paraît que les surdoués sont doués pour remettre en question le cadre et les lieux communs.
Mais on s’arrête où ? Imaginons que les gens croient parce que ne pas croire, c’est se livrer à l’absurdité du monde. Parce que les récits collectifs sont d’incroyables faiseurs de sens et d’orchestration des sociétés et des relations. Et que les surdoués vont au-delà.
Mais on s’arrête où ?!

Je suis fatiguée de mes nuances et mes contradictions. De lire que je devrais avoir des valeurs fortes et empathiques, et d’avoir autant d’empathie pour Hitler que pour Nelson Mandela. De me dire que l’empathie, c’est d’essayer de voir le cheminement des gens, que savoir comment ils en sont arrivés là est fascinant. Hitler et Mandela, pour moi, sont fascinants de conviction. D’avoir défendu quelque chose, d’avoir cru assez pour être assertif, pour être décisif, pour avoir changé le monde.
Pour avoir seulement voulu changer le monde, et penser avoir la légitimité d’imaginer un monde meilleur. L’orgueil me paraît superbe et formidable.
Moi, je suis bloquée. Je n’arrive pas à voter, à m’intéresser aux jeux politiques qui me mettent extraordinairement mal à l’aise. Parfois, lorsqu’une situation quotidienne m’angoisse, j’essaie de prendre du recul, et parfois je vais trop loin. Alors, plus rien n’est grave, ni les guerres, ni l’écologie, ni les extinctions de masse, encore moins moi.
Parfois, j’en ai besoin, pour ne pas de sentir écrasée de culpabilité, de ne pas en faire plus, pour telle cause ou telle autre, et parfois je me demande si ce doute immense et permanent n’est pas simplement une réaction à mon sentiment d’impuissance.
Parfois, je me dis que c’est libérateur, je pourrais faire des choses mauvaises ou stupides, et ce n’est pas grave. Je peux, par exemple, choisir de faire des enfants, indépendamment de l’avenir écologique, car mes enfants mourront, eux aussi, si je décide de les faire naître. C’est la naissance la tragédie, et en fait ce n’est pas grave, d’ici quatre à cinq milliards d’années, tout reste de quoi que ce soit sur terre aura explosé.
C’est un peu triste, c’est un peu exaltant, c’est un peu ma seule façon de voir la vie.
Rien n’est vrai.
Rien n’a d’importance.
Rien n’est vrai.
Et ça n’a aucune importance.
Et pourtant, la vie quotidienne existe, les choses y ont des conséquences (quoique souvent moins grandes que je l’aurais envisagé).
Et pourtant, je m’emballe, j’y vis aussi.
J’ai deux vies. J’ai mille vies.
Toutes les incohérences peuvent coexister. Ce n’est pas grave si on établit que la raison est un piètre outil, et que rien n’est grave.
Il paraît que les surdoués sont souvent incohérents, extrêmes dans plusieurs sens à la fois.
Comment ne le seraient-ils pas ?
🖤

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