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Écrire pour survivre, écrire pour être

L’écriture a toujours été importante pour moi. À l’avant-plan de mes pensées et de mes préoccupations, ou au contraire en sommeil, à l’arrière-plan. J’ai écrit mes premiers essais de romans entre huit et dix ans. J’ai toujours beaucoup lu, aussi.

À certaines époques, j’écrivais beaucoup, des pensées, dans un cahier que je me refusais à appeler journal. Il me semblait que l’idée d’un journal était ridicule, enfantine, qu’un journal intime était un récit de la vie quotidienne, et je ne vivais rien qui vaille la peine d’être raconté.

Peut-être regretté-je de n’être pas né plus tôt, mais au moins je ne suis pas né trop tard. Je devinerai le déclin du monde et pleurerai la mort des mots sans y assister. Je mourrai dans la peur de l’avenir, heureuse de n’y pas assister. Je mourrai les yeux voilés, incapable de les garder secs, ils pleureront pour ces poètes qui ne naîtront jamais. Pour ces soupirs lettrés qu’on ne poussera pas. Pour ces poèmes que personne n’écrira jamais. Ne pensera jamais. Qui mourront avant de naître. Je pleurerai pour tous les mots que, dans ma vie, j’aurai pu assembler, et que je n’aurai pas laissé sortir de ma tête. Pour tous ces mots que, parce que dormir était plus simple, j’ai oublié. Ces mots que j’ai trahis. 

Jeudi 5 juin 2014

Je pensais, en revanche. Je pouvais penser large, grandiloquent, je pouvais écrire et voir les mots devenir plus grands que moi. Je rêvais d’être Rimbaud, d’avoir une existence dans les mots, moi qui ne me sentais qu’à peine exister dans la réalité de ma vie quotidienne. Ecrire était mon existence. J’ai essayé, plusieurs fois, d’en faire lire des extraits, j’en ai fait un blog, je l’ai montré. Pour exister. Pour que quelqu’un me voit. Les réponses, d’une façon ou d’une autre, furent chaque fois insuffisantes pour moi.

Et comment demain pourrait-il être, et être cet hier qu’il est déjà, hier où j’aurais vécu et pensé et marché, réfléchi l’esprit vide, les mots toujours là pour venir à mon secours. Mais pas le secours, les mots me tuent, me vident, me statufient hébétée. Et ma main seule n’est pas immobile, sa vie propre ignore le reste engourdi, le mauvais angle, l’impossibilité d’écrire. 

Besoin de dormir, maintenant, mais fascination pour cette main, et crainte d’être demain et de voir ce qu’hier fait écrire à cette main qui proteste ici. Demain que pleure la main.

Deux pieds, papa, deux pieds.

Mercredi 15 octobre 2014

Après des années à écrire, à écrire dans un grand cahier vert, rigide, de 200 pages, récupéré chez mes grands-parents, le feu s’était un peu tari. Je tournais en rond. Je n’espérais plus vraiment être lue, je n’avais plus rien à raconter. Il faisait froid, dans mes pensées. J’ai essayé de vivre, alors, un peu. Un peu. En rentrant à mes mots, entre temps, avec la nostalgie amère des mots emportés d’autrefois.

Et tu ne veux plus même rayer les mots dans ce cahier vert qui liste les buts artificiels de ta vie insensée. Tu ne te raccroches plus guère qu’au froid et à l’obscurité de cet appartement si vide où tu n’es pas chez toi, en sachant que ce froid t’engourdira bien assez tôt pour te rejeter à la vie matérielle, mais qu’alors tu auras ces quelques mots répétitifs qui pourront te faire croire que tu as quelque chose, un secret, qui te rend supérieure à tous tes petits camarades de jeux qui, eux, savent vivre. 

29 novembre 2015

En revenant à mes mots, quand même, en répétant, en voulant les retrouver. Ecrire était toujours important. Ecrire pouvait toujours justifier ma vie.

Mais rassure-toi, petite fille trop grande, le cahier suivant t’attend déjà, je ne suis pas prête à te laisser mourir, je t’aime un peu, vois-tu, tu es celle qui m’a un jour fait croire à la grandeur de l’homme, et fait ressentir la joie douce-amère de l’absolu. Tu m’abandonnes, je te regrette, mais ce n’est pas à toi que j’en veux. Cette obscure entité que j’appelle moi se prête plutôt bien à tous les reproches. Elle est la structure, la contrainte, le maître d’orchestre qui t’abrite et te dirige, toi, Claire, Espérance, Carlie, Ondine, les autres, les pleurs, l’esprit, le corps. L’humeur. Moi, c’est ce donné, cet immonde arbitraire qui ne saurait répondre à la raison, un inconscient peut-être, qui m’assaille des images sombres, des imaginations morbides ou par trop vivantes, des pensées-litanies.

28 février 2016

Après des années de sommeil, à écrire quelques pensées, éparses, quelques poésies, isolées, j’ai repris des projets de romans. Plusieurs fois. À quatorze ans, puis seize, puis vingt-trois. À vingt-quatre ans, j’ai enfin fini d’écrire mon premier roman, celui commencé à seize ans, que j’avais imaginé par défi, par dépit, par dérision. J’ai voulu enchaîner, aussitôt, j’ai voulu écrire un roman vraiment important pour moi, un roman de moi, une description précise de ce que j’étais.

L’idée de partager mes écrits était revenue, avait toujours été là. Comme sens, comme raison d’être. Comme défi ultime. Comme difficulté que j’espère surmonter, un peu.

Ecrire. Exister. Survivre. Trouver un sens.

Des mots pour exister. Pour colorer. Pour atteindre l’autre. Pour le ramener à moi. Pour mettre en mots ma peine. Pour conceptualiser, pour guérir mes maux.

Ecrire.

Absurdité contre l’absurdité du monde. Raison absurde, qui pourtant donne du sens. Incompréhensible mais acceptable. Indicible, mais je veux dire. Ecrire.

Être lue.

Alors, merci. Merci à quiconque lit ces mots. Merci à ceux qui réagissent, encore plus, pour ne pas être qu’un cri dans le silence. Un arbre qui tombe dans une forêt, sans personne pour l’entendre.

Ecrire, c’est la métaphore de ma vie. Tenter d’être comprise. Envoyer des choses, espérer désespérément qu’elles seront reçues.

J’espère que ce n’est que le début.

2 réponses à « Écrire pour survivre, écrire pour être »

  1. Avatar de Mon livre ! L’Expérience de la fragilité – Haut Potentiel d'Aventure

    […] J’ai toujours écrit. J’ai toujours imaginé que je pourrais écrire. (Voir l’article). […]

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  2. Avatar de À quinze ans, j’ai ouvert un blog parce que j’étais malheureuse – Haut Potentiel d'Aventure

    […] pour survivre, en sentant bien l’ambivalence du processus (voir Ecrire). L’ambivalence des mots, l’ambivalence de la communication sans destinataire, avec ce […]

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