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La prépa
Pour ceux qui ne connaissent pas, la prépa est une école post-bac, elle dure deux ans, se fait dans un lycée, et prépare à des concours, selon la filière, pour rentrer dans des « grandes écoles » et finir leurs études. Pour info, j’ai fait une Hypokhâgne/Khâgne B/L, soit des lettres, de la philo, éco, socio, maths, allemand, anglais, latin, histoire.
Quand on entre en prépa, quand on dit qu’on entre en prépa, les adultes autour de soi nous encouragent avec un mélange d’admiration et de pitié. Ils nous préviennent que ce sera dur, exhortent notre courage, nous préviennent que les résultats n’ont pas la même importance qu’avant.

Il était difficile de savoir à quoi s’attendre. De savoir comment seraient ces autres, qui avaient sûrement cette même image que moi, ces mêmes compétences, qui peut-être seraient comme moi. Et pourtant, je ne me sentais toujours pas à ma place. Toujours en décalage. Nous avions commencé les cours directement, le premier jour, et j’avais pleuré après mon premier cours de maths, qui était si normal, compréhensible, habituel. La digne continuité d’un lycée misérable.
Le premier DS de maths, j’étais première (ça n’a pas duré bien longtemps, en tout cas pas jusqu’au bout, rassurez-vous). Ensuite sont arrivées les premières mauvaises notes (notamment un premier 9/20 en dissertation de lettres, avec l’appréciation “Vous semblez avoir compris comment disserter”. Si tu le dis, gars.). Les premières dissertations, avec un mémorable “Je.”, imprimé police 12 sur une immense feuille A4 pour notre première dissertation de philo.

Et une ambivalence immense. J’avais de bonnes notes, à l’échelle de la prépa, mais j’avais l’impression de passer complètement à côté de la mystique de l’humaniste qu’on nous vendait. Depuis le premier jour, où on nous avait dit que nous étions la future élite de la Nation (j’avais pensé, eh ben, on n’est pas dans la merde), jusqu’aux discours de liberté et d’indépendance intellectuelle, de formation d’une sorte d’esprit complet et parfait, capable de disserter, de trouver une problématique éclairante à des sujets comme Le normal et le pathologique ou La papauté depuis 1850 (vous aussi vous vous sentez tout choses ?). Nous étions censés être des savants éclairés, et je me sentais comme un perroquet, comme une dévoreuse de papier, capable de recracher, dans un bancal plan en trois parties, un tas de connaissances absconses.
Il y avait cet idéal, auquel je croyais en partie, auquel j’aspirais quand même un peu, et la réalité des tâtonnements et errances du quotidien. J’avais toujours l’impression qu’il y aurait un déclic, qu’un jour tout prendrait sens, que je verrais la logique et l’intérêt des dissertations, qui ne seraient plus un exercice formel et absurde qui était pour moi une non-réflexion. Un désir de donner au prof ce qu’il attendait, de mettre au jour cette attente, en trahissant cet idéal du savoir, de la connaissance belle et pure.
Nombre d’anecdotes rendaient cela plus absurde.
🤡 Le fait que ma meilleure note en dissertation de sociologie m’ait été donnée la fois où j’avais passé les six heures de rédaction à lutter contre mes larmes, m’enfermant à mi-parcours dans les toilettes pour une crise de sanglots. Un magnifique “Continue ainsi” sur ma copie.
🤡 Le fait que, au concours, j’ai eu une meilleure note en français qu’en philo, alors que je n’avais pas compris le sujet de littérature, qu’après 5h à me débattre, je me posais encore la question du sens de la citation à commenter, et que, pour la première fois, j’avais eu l’impression d’aller plus loin, en philo, et que j’avais évoqué la question, fondamentale pour moi, intime, que la raison n’avait peut-être aucun sens et aucun pouvoir.
🤡 Le fait que le prof d’allemand s’attendait si évidemment à ce que je choisisse la dissertation d’allemand au concours que j’ai choisi de présenter le latin, dans lequel j’étais débutante, pour échapper à ses attentes, et à six heures de dissertation supplémentaires. Et, bien sûr, le latin fut ma meilleure note au concours.

🤡 Le fait que, ayant pleuré en khôlle d’anglais, la prof m’avait prise dans ses bras en me disant que je lui faisais trop de peine, et m’avait dit de ne pas m’en faire pour les devoirs à faire pour le lendemain. Le lendemain, je ne les avais pas faits, et elle avait paru étonnée et déçue.
🤡 Le fait que j’enchaînais les crises de larmes, les devoirs et les khôlles évitées, noyées dans les larmes, et que rien ne changeait jamais. Je me sentais partir à la dérive, je pensais ne jamais finir mes deux ans de prépa, échouer dans un hôpital psychiatrique, et les réponses que j’obtenais en retour étaient toujours succinctes.
🤡 Ce prof, que j’appréciais, qui me dit un jour qu’on ne pouvait pas me laisser comme ça, qu’on allait m’aider, et qui ne m’a jamais reparlé.
🤡 Ce prof a qui j’ai dit ne pas aimer sa matière, ne pas prendre de notes, ne pas arriver à travailler, et qui ne m’a jamais reparlé, puis a essayé de me convaincre de rempiler pour une troisième année, après avoir passé l’année à prétendre que seuls les bons travailleurs seraient autorisés à redoubler.
🤡 Cette prof qui a demandé à la camarade qui passait après moi en khôlle si j’allais bien, plutôt que de me le demander.

🤡 Cette solitude absolue.
🤡 Cette culpabilité de quand même avoir de meilleures notes que certaines camarades qui travaillaient bien plus. Ce sentiment de rester sur le quai, en perdant chaque trimestre des places, au fur et à mesure que mes camarades apprenaient leurs leçons et avançaient dans leur parcours, et que je restais sur mes acquis de lycée.
🤡 Ce sentiment d’absurdité, ce sentiment que je ne voulais même pas réussir le concours, cette perdition à ne pas savoir quoi faire.
🤡 Ce sentiment en voyant certains arrêter, expliquer que cela ne leur convenait pas, aller vers autre chose, cette envie, cette tristesse de n’avoir rien d’autre vers quoi aller.
🤡 Ce sentiment de devoir rattraper des années de retard en « culture légitime », de devoir lire des livres sans plaisir et sans retour émotionnel, parce que c’était des « classiques ».
🤡 Ce sentiment, en revenant pour présenter l’école que j’ai fini par intégrer (d’ingénieurs, et dont mon prof a toujours refusé d’apprendre le nom, car ce n’était pas une école prestigieuse pour ses statistiques), d’avoir raté ma vie (j’avais 18 ans, hein), d’être nulle, en étant dans cette école d’ingénieurs.
🤡 Cette étrange fierté qu’on ressent néanmoins, d’avoir fait une prépa, une « bonne » prépa, comme si cela pouvait nous justifier, nous réhausser.
Entièrement négatif ?
Bien sûr que non. Mais oui. J’ai appris sur moi, j’ai emmagasiné des choses à comprendre plus tard. J’ai découvert de nouvelles personnes, de nouvelles façons de pensée, des outils de pensée, aussi (par exemple en sociologie, matière que pourtant je n’appréciais guère et que je trouvais, à l’époque, plutôt bullshit).
J’ai beaucoup de bons souvenirs, malgré tout, l’intégration scénarisée, la bonne entente, le voyage à Paris pour écouter les oraux des autres à la fin de la première année. La semaine des concours, qui n’était pas si pire, comme on dit. Les gens, la colocation avec mes aînés, la liberté. Certains cours, certains profs, certains événements.
J’éprouve une certaine joie à me dire que je l’ai fait, mais aussi à me dire que je n’aurai jamais à le refaire. Que j’ai découvert un microcosme en quasi circuit-fermé, qui prônait l’ouverture d’esprit, mais que fais-je d’autre moi-même ?
Une certaine joie d’avoir aujourd’hui une opinion de ces moments, un recul, et de savourer le chemin parcouru.
Et vous, vous avez fait des études ? Quelles études ? C’était bien ? Vous étiez heureux ? Et la prépa, qui en a fait l’expérience ?
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