
Cet été, je suis allée dans un restaurant « Dans le Noir », dans lequel tout le monde mange sans rien voir, dans le noir absolu, et où les serveurs sont malvoyants. J’appréhendais un peu. Je me repose beaucoup sur ma vision. J’analyse, je regarde, j’observe, et je suis encore maladroite. Le noir fait un peu peur.
En fait, j’ai trouvé ça très intéressant et pas trop oppressant. Pour certains, ça l’est trop : un homme, assez âgé, distingué, a demandé à sortir au bout de quelques minutes. Et franchement, ça se comprend.
Je m’attendais à manger à une table de deux, puisque nous étions venus à deux. Mais non : nous étions sur une table en arc de cercle (j’imagine, puisque je l’ai pas vue du tout, même en entrant et sortant, nous sommes dans le noir, et allons nous asseoir à tâtons). Nous étions 6, chacun en face de son compagnon de repas. Nous étions très proches, aussi, et, en voyant, j’aurais été très mal à l’aise. Je n’avais pas regardé les gens dans la queue avant d’entrer : je ne savais donc pas qui étaient ces gens à qui je parlais. Pourtant, nous avons parlé. Impossible de ne pas entendre les autres, les inconnus. Et, étrangement, c’était assez libérateur de ne pas les voir, de partager un même handicap inédit et déstabilisant. Pas de conversations sur nous, nos vies : nous avons bien parlé, en revanche, de l’expérience en elle-même, et essayé de deviner la composition des plats.
J’ai trouvé très étrange de ne pas savoir ce que je mangeais. Sur photo, après, on a vu une belle présentation, des marqueurs de plats « classes », les petites gouttes de sauce, les 15 ingrédients fancy. Avec les doigts, on mélange tout, et même en sentant tous les goûts, le plat paraît plus simple, moins distingué – très bon, ceci dit.
Certains ont tenté la fourchette, j’ai tout mangé avec les doigts. Ça aussi, c’était libérateur : pas besoin de se soucier de notre bonne tenue, j’ai mangé penchée sur mon assiette, avec les doigts, très proche du plat. Léché mes doigts pour les nettoyer. En ne voyant rien, j’ai réalisé le poids – par l’absence – de mon masque, surtout dans un resto « classe » (le restaurant est dans un hôtel réputé, donc nous étions assez guindés jusqu’à l’extinction des feux). Là, pas de longues minutes passées à observer les autres, à tenir mon dos droit, à manger, à défaut d’être distinguée, de façon acceptable. En mangeant avec les doigts, j’étais aussi bien plus propre qu’en devant gérer une fourchette : aucun dégât à ma tenue ! Enfin, nous étions tous désarçonnés, hors de notre zone de confort : je crois que, pour une fois, je n’avais pas peur de la bévue, peur de faire n’importe quoi, ni du regard des autres (!).

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