On lit souvent que les autistes n’ont pas besoin des autres et ne sont jamais si heureux que seuls. Même si j’ai mes moments, même si j’ai besoin de solitude, je ne pourrais pas être seule tout le temps. J’ai besoin des autres. En fait, je crois bien que le sentiment de solitude est une grande part de mon mal-être, que je traîne depuis l’enfance.
Je ne me sens pas tant rejetée par les autres, par la société – et j’ai conscience que c’est une forme de chance, même si ça vient sans doute aussi en partie d’un masque qui ne me fait pas que du bien. Pourtant, j’ai du mal à me sentir pleinement en contact avec les autres. Et ça, ce n’est pas bon pour la santé mentale.
Un philosophe et psychologue que j’aime bien – même si son approche est réflexive et non scientifique -, Carlos Tinoco, parle ainsi du sens de la vie et de la particularité des atypiques (pour lui, des surdoués, mais honnêtement, j’y retrouve plus mon côté autiste) : le but est de trouver quelque chose qui permette de supporter l’idée de la mort, qu’on va mourir et que nos proches vont mourir. Les atypiques/surdoués sont ceux qui n’adhèrent pas, ou rarement, aux choses de ce type que la plupart des gens véhiculent, comme le patriotisme ou la religion. Ceux qui remettent en cause la logique de l’ordre social, du « ça a toujours été comme ça ».
La connexion avec les autres, l’existence des autres, est à la base d’un grand nombre de raisons d’exister. Que ce soit la famille, la relation amoureuse, l’amitié, la communauté… ça aide les soldats à se sacrifier, les parents à se sacrifier, les joueurs de foot à se transcender. Ça conduit aussi à faire des trucs un peu cons, à se liguer contre la minorité, à exclure, à violenter, à détruire.
Parfois, j’aimerais disparaître dans la foule, dans la communauté. C’est rare mais ça peut arriver : je me fous éperdument du foot, je trouve absurde de dire « on a gagné » alors que clairement, si j’avais joué, on aurait perdu. Pourtant, avec mes amis, ou dans la foule de la coupe du monde, ou parce que je sais que c’est important pour mon conjoint, je m’intéresse, j’encourage, je rentre en empathie avec un match et des joueurs.
Je suis tombée sur une étude sur l’isolement en milieu carcéral et son impact sur la santé mentale (Restricting the Use of Solitary Confinement | Annual Reviews). La recherche soutient le fait que la solitude, surtout forcée, réussit mal au gens et multiplie le risque de se faire du mal. Et je suis d’accord. Et je rêve quand même d’isolement et de solitude, ne serait-ce que pour fuir la contrainte sociale, ne serait-ce que pour l’expérience presque mystique d’être pleinement moi, moi seule, comme si la moi sociale n’était pas légitime. A-t-on besoin des autres parce qu’ils nous distraient de la condition humaine, parce qu’ils nous empêchent d’effectivement nous poser des questions, ou parce qu’ils apportent de fait un sens à notre vie, dont on a besoin ? J’ai ressenti le un, j’ai essayé de me transcender dans l’art, dans la poésie, dans la connaissance, de fuir le monde pour m’y consacrer. Mais j’ai grandi, et ressent aujourd’hui bien plus la nécessité des autres. De leur présence, mais aussi du fait que mes histoires de moi-même, mon sens, passe par des schémas qui impliquent les autres. Si je veux fonder une famille, par exemple, est-ce par amour pour eux, déjà existants ou à venir, ou par amour pour l’idée de famille, et de ce qu’on laisse derrière soi ?

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