Quand j’avais douze ou treize ans, j’ai eu en rédaction pour le collège le thème suivant : écrivez une lettre à quelqu’un que vous ne connaissez pas. J’ai trouvé ça absolument absurde : quel intérêt d’écrire à une personne qu’on ne connaît pas ? Que dire à un inconnu ? Quel prétexte inventer ?
Inspirée par une histoire croisée, j’écrivis une lettre en prétendant que je n’avais jamais connu mon père, que ma mère récemment morte venait seulement de me révéler son identité, et je le suppliais d’accepter de m’adopter. C’était ma façon de faire sens du sujet. (Je finis la lettre par une forme de chantage au suicide, écrivit « Décédé, retour à l’envoyeur » sur l’enveloppe dans laquelle il fallait rendre le devoir, et la couvrit copieusement d’encre rouge – on est théâtrale ou on ne l’est pas… Bizarrement, cette fois-là, mes parents ne furent pas convoqués !)
J’ai découvert après que, bien sûr, mes camarades de classe avaient juste écrit des lettres à des célébrités, notamment De Gaulle (qu’est-ce qu’on peut bien vouloir raconter à De Gaulle, je ne le sais toujours pas !).
Écrire à un inconnu connu me paraissait donc absurde. J’ai toujours trouvé étrange de ne connaître quelqu’un que par l’écriture. Pourtant, en 2024, je tombai dans une hyperfixation / un intérêt spécifique lié à Amélie Nothomb. J’achetai tous les livres que je n’avais pas déjà, j’appris par cœur la liste des titres avec leur année de publication, et je lus et relus pendant plusieurs mois. J’avais l’impression d’avoir rencontré quelqu’un qui me ressemblait. Et puis j’ai vu le documentaire Une vie entre deux eaux, où il était expliqué qu’elle répond aux lettres de ses lecteurs. Et j’ai lu Une Forme de vie, un de ses romans où elle explore la justement la correspondance avec les lecteurs. Je ne sais plus exactement dans quel ordre. Et m’est venue l’idée de lui envoyer une lettre. Puis de lui envoyer mon livre, Splendeurs et misères de la Mort, qui me paraissait le plus proche de son style. En espérant que, peut-être, elle daignerait en lire quelques paragraphes. Je ne sais pas trop, en réalité, ce que j’espérais. Il me paraît toujours présomptueux de penser qu’elle pourrait vouloir me lire ou qu’elle a le temps de le faire. Qu’elle pourrait aimer. Que je ne suis pas importune. Qu’elle me donnerait un avis honnête (je déteste mentir, pourtant comme j’ai du mal à critiquer les œuvres des gens, constructivement ou non!).
Pourtant, quelques semaines plus tard, elle m’envoyait une réponse : elle avait lu mon livre. En entier. Elle avait aimé. Nous avons continué à correspondre, une lettre tous les quelques mois. Échanger quelques références, quelques impressions sur le monde.
Merci pour votre belle lettre et pour livre lu cette nuit. Je l’ai beaucoup aimé. C’est bien écrit et très touchant. Bravo !
À propos de Splendeurs et misères de la mort
J’ai lu l’extrait de L’expérience de la fragilité que vous m’avez envoyé. C’est l’équivalent littéraire d’une sublime chanson de Radiohead : « How to disappear completely ». L’éloge, sous ma plume, est considérable.
à propos de l’extrait de L’Experience de la fragilité, le conte d’hyperintellectualisation
Merci pour La quête du mal. C’est un sacré bouquin. Il m’évoque la phrase de Lacan : « Le réel, c’est ce à quoi on se cogne ». Bravo !
À propos de la Quête du Mal (Ah Bon ??)
Voilà. « Nous correspondons« , comme je l’ai entendue dire dans une vidéo à propos d’un autre de ses lecteurs – il semble qu’elle se souvienne de chacun, ce que je trouve fascinant. C’est un peu surréaliste, un peu étrange, ça paraît presque irréel. Je me sens toujours importune, empruntée, inintéressante, parfois. Je ne sais pas bien où nos quelques mots échangés nous mènent. Mais c’est agréable. Un fragment extirpé au réel, qui permet à un intérêt intellectuel de devenir, un tout petit peu, social et réel.

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