Je suis forte mais faible. Capable de tout faire, mais pas maintenant, pas comme ça, pas observée. Hors du temps et une enfant. Pas dans le monde, terrifiée par le monde, loin. Ecorchée par le monde, son bruit, ses contraintes. Mon inaccessible, qui me brûle. Pragmatique, et je me fais du mal : je joue si bien le jeu que je ne m’aperçois pas qu’il me tue.
Je suis fatiguée, je ne peux plus me lever que pour les gens qui n’importent pas, les enjeux asinins, les personnes que je pourrais décevoir.
Je n’ai pas peur des gens que j’aime, pourtant je ne veux pas les perdre, j’ai peur des interactions les plus petites, les plus absurdes : demander du pain, parler pour ne rien dire. Je suis plus à l’aise au milieu des traumatismes que des petites phrases toutes faites.
Je ne sais pas, je ne sais plus m’exprimer. Parfois je suis muette, je ne me comprends pas. J’écris, pourtant, encore et encore, des milliers de pages. Elles me maintiennent en vie, elles me déchirent parfois le cœur. Elles m’isolent et je les hais, elles m’entraînent dans leurs mots, dans leurs raisonnements, et suis-je encore quelqu’un, au-delà de ces mots qui existent d’eux-mêmes, jaillis de poésie, de sonorités, d’associations immédiates ? Y a-t-il ici la moindre réflexion ? Est-ce la mienne ?
Je peine, je m’embourbe dans mes mots, je renonce à parler et à écrire.
Les mots jaillissent, je suis vermisseau qui prétend être à leur hauteur, et je suis démiurge et déesse.
Je suis étrange, je suis incroyablement simple et prévisible. Je suis une enfant apeurée, je n’ai pas d’âge.
Je ne sais rien faire, j’écris un roman en quelques mois. Chaque succès entérine que je ne serai pas à la hauteur, bientôt, de ces précédents que je crée. Que je m’épuise.
Que je n’ai que ça : si je ne réussis pas selon les critères des autres, je ne suis pas intéressante.
Je suis tout et son contraire.
Non. Je ne suis rien. Personne.
J’existe, je n’existe pas.
Je vogue et je coule.

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