Le rapport au poids et à l’alimentation en tant que neurodivergente

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Le poids est un sujet complexe dans notre société. On est incités à la minceur comme idéale, mais aussi au plaisir et au consumérisme alimentaire. Un bon moment en familles ou entre amis, surtout dans nos cultures, c’est l’occasion de bien manger et de bien boire. Pour « bien vieillir », il faudrait savoir rester mince, mais aussi ne pas avoir de rides, or les personnes minces vieillissent moins bien et ont plus de rides.

En tant que femmes, il faut avoir des formes (petite pensée à la moi de treize qui complexait de ne pas avoir autant de poitrine que les autres femmes de ma famille), mais les bonnes, et pas trop. Il ne faut pas être une brindille, pas une planche à pain, il faut avoir de jolies fesses mais pas un gros cul. Il faut avoir une forme de sablier, ce que même les mannequins grande taille ont, de grandes jambes, taille marquée.

Bon.

Le poids et l’apparence sont une question sociale qui est problématique pour tout le monde, neurodivergents ou non. Mais quelles sont les spécificités de la neurodivergence ?

Les autistes et les personnes avec TDAH peuvent avoir des facilités à manger de façon dérégulée, car (rappels de l’article sur l’alimentation des neuroatypiques) :

  • ils ont des spécificités sensorielles, notamment un trouble de l’alimentation sélective et évitante (ARFID), des restrictions alimentaires fortes (par exemple, ne manger que des aliments jaunes, ou que des aliments industriels, ou un seul type d’aliments), ou encore un profil en recherche sensorielle, dans lequel manger peut être considéré comme un comportement d’auto-stimulation (stim) ou un moyen de contourner l’ennui (par exemple en buvant un soda plutôt que de l’eau pour que ce soit stimulant)
  • ils ne ressentent pas forcément la faim de façon classique, voire ils ne la ressentent pas (voir l’interoception)
  • ils ont davantage de problèmes de santé mentale comme la dépression, qui a un impact alimentaire (augmentation ou diminution du poids)
  • les personnes avec TDAH sont en moyenne plus impulsives, ce qui peut les conduire à de l’hyperphagie voire de la boulimie
  • l’alcool peut être utilisé comme un moyen de compenser ou masquer les difficultés sociales,
  • ils peuvent voir le sport comme un défi à cause des spécificités sensorielles (odeur d’une salle de gym ou d’un ballon en plastique, toucher les autres…) ou sociales (sport d’équipe, par exemple), mais aussi à cause de comorbidités (par exemple le syndrôme d’Ehler-Danlos ou POTS, des problèmes liés aux articulations ou à la circulation sanguine qui semblent plus fréquents chez les neurodivergents et qui rendent le sport parfois douloureux ou dangereux)
  • les autistes ont tendance à la pensée rigide / en noir et blanc, et peuvent donc plus facilement verser dans l’orthorexie, c’est-à-dire la tendance à catégoriser des aliments comme « bons » ou « mauvais » et à appliquer des règles restrictives rigides. Par exemple, si vous dites à un enfant autiste que manger des bonbons tout le temps, ce n’est pas bien, il pourrait en conclure qu’il ne faut absolument jamais en manger

Du coup, les troubles alimentaires sont très fréquents, par exemple 20% des anorexiques seraient autistes (voir L’alimentation des neuroatypiques).

À titre personnel, je ressens qu’il s’agit aussi, pour moi, de sentiment de contrôle. Être neurodivergent, c’est être perdu et angoissé au quotidien dans un monde pas vraiment adapté. Contrôler ce que je mange et mon apparence, c’est aussi un moyen de contrôler le monde.

Je ne m’en rendais pas vraiment compte avant de perdre du poids il y a quelques années : je m’étais jusque-là dit que je ne serais jamais vraiment mince, juste « normale », pas remarquable dans ce domaine. J’avais eu du mal avec mon corps à l’adolescence, mais il me paraissait impossible d’être vraiment mince ou de contrôler vraiment mon poids : c’était dans mes gènes.

Or, quand j’ai vécu quelques mois en Allemagne, j’ai changé mes habitudes, je me suis mise à cuisiner, et j’ai perdu, sans m’en apercevoir, 8kg en quatre mois. Je n’avais pas de balance, et c’est vraiment quelque chose que j’ai du mal à voir dans le miroir, je ne fais pas du tout confiance à mes impressions.

Après ça, j’ai continué à modifier mes habitudes et à perdre du poids. C’était grisant, fascinant, une hyper-fixation. Et ça marchait. Puis je me suis stabilisée, j’étais contente de mon nouveau poids, et je recevais beaucoup de compliments et de remarques.

Sauf que j’avais 22 ans. Depuis, mon métabolisme a de nouveau changé. Mes habitudes aussi : à un moment, j’avais des faiblesses, je devais manger des sucreries à 17-18h avant le repas si je ne voulais pas me sentir mal. Je me suis habituée à pouvoir manger des sucreries, ce qui n’était pas du tout dans mes habitudes avant, jamais. Mais aujourd’hui, je ne peux pas manger autant si je veux maintenir mon poids. Je reprends, très lentement, un petit peu, et j’ai compris que c’était une question de contrôle à la détresse que je ressens : c’est incroyablement difficile de trouver le juste milieu entre faire ce que je veux et contrôler, entre « c’est bon pour la santé de faire un poids normal » et « c’est mauvais pour la santé d’obséder sur son poids et de se peser tous les jours ». Je suis frustrée les jours où je n’ai pas beaucoup mangé la veille et que j’ai pris. Je me culpabilise de ce que je mange et d’avoir envie de manger pour me faire plaisir. Je me dis que je me contrôlerai à l’apéro ce soir, et soudain j’ai trop mangé et j’ai mal au ventre.

Avant, mon poids suivait vraiment mes repas : action, réaction. C’était un moyen de contrôler et de comprendre ce corps que, franchement, je tiens à distance. Je comptais les calories pour savoir si j’avais faim, si je « devais » manger. Si j’avais trop ou pas assez mangé. J’ai fait de mon alimentation un système intellectualisé, plutôt qu’une évidence corporelle.

Et puis, bon, je suis gourmande. J’aime le gras et le coca zéro (mais je me sens coupable de boire du coca plein de sucre, alors que les édulcorants me font peur). J’aime le sel, le pain, la charcuterie et les pâtisseries. J’aime cuisiner.

Comme tant de choses, trouver l’équilibre, surtout quand on est neurodivergent, est une galère.

Et vous ?

2 réponses à « Le rapport au poids et à l’alimentation en tant que neurodivergente »

  1. Avatar de Alfred
    Alfred

    Galère aussi.
    Je suis passé par la dépression, les médicaments, et la prise de poids (10kg de trop aujourd’hui).
    Hélas j’aime aussi les pâtisseries, la charcuterie…..
    Mais j’en ai fini avec la culpabilisation. (Mais pas avec la colère, car je sais désormais que nous avons été formatés pour ce qui suit)
    Car pour que notre nourriture soit parfaitement ajustée à nos besoins, il nous faudrait un suivi médical complet et permanent, savoir d’abord de quoi nous sommes faits, comment nos métabolismes propres réagissent, et quelles réactions s’opèrent à l’ingestion de tel ou tel produit, puis à leurs mélanges, le tout en fonction de nos activités, de notre environnement, de notre psychisme, etc….. Bref, de ce côté, on ne fait déjà pas grand chose pour savoir avec précision. Juste appliquer quelques règles à la louche……

    Et la deuxième condition serait que les producteurs et marchands nous proposent que de bonnes denrées alimentaires, à la fois sur le plan goûteux autant que sur le plan de la santé (tout en tenant compte du mode de conservation lorsque nous ne sommes pas à proximité de la production). Nous en sommes hélas très très loin…… (problèmes phytosanitaires, problèmes de composition des plats préparés, industrialisation, antibiotiques ingérés par les animaux d’élevage, etc…..tout cela sans trop en maîtriser les conséquences et où les intérêts financiers sont privilégiés…..)

    Quant aux dogmes sociétaux, dès l’âge de 10 ans, je n’en avais que faire. Preuve : cette année-là, au carnaval de l’école, je m’étais déguisé en moi, plus vieux. Personne n’avait rien compris à ma démarche. Elle hurlait pourtant : « je n’en ai rien à faire de vos déguisements, je n’en ai rien à faire de vos injonctions à « être comme il faut » tel ou tel jour ». Donc, j’ai rejeté depuis longtemps les injonctions sociales (sans doute mon côté neuro-atypique)….et j’en ai payé le prix fort. Une prise aussi farouche d’indépendance ne se pardonne pas ! Néanmoins, me sentir « gros » participe à ma déprime, non pas par identification, mais tout simplement en ne me sentant pas en forme physique de qualité.

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    1. Avatar de Haut Potentiel d'Aventure

      Par rapport aux injonctions sociales, je ne sais pas si c’est tant, pour ma part, une question de vouloir m’intégrer et ne pas être rejetée, je ne le ressens pas vraiment ainsi. C’est plutôt une vision de moi-même, à la fois esthétique et morale, internalisée, qui n’a pas grand-chose à voir avec les autres. J’ai un rapport esthétique au monde, une attente esthétique de moi-même (physiquement, mais aussi au niveau de ma vie : je veux que l’histoire que raconte ma vie me paraisse belle et « fasse histoire », pour moi-même). Et mon apparence physique y participe, surtout après que j’ai perdu du poids et eu l’impression d’avoir le contrôle de mon apparence, d’en avoir été un jour pleinement satisfaite.

      Les troubles du comportements alimentaires, c’est d’abord du mental, de la vision de soi (ne pas vouloir grandir, vouloir se conformer à une image qu’on a de soi, ou, en effet, la vision des autres).

      Après, clairement, le paysage médiatique et scientifique nous abreuve de mille sentences et conseils pour manger bien, sauf que plein de choses sont contradictoires, et rien n’est adapté à chacun.

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