
Je ne sais plus trop à quel moment j’ai décidé d’ouvrir une page Instagram en parallèle de mon blog, avec les mêmes articles, plus les repartages et les stories sur ma vie quotidienne. Pourquoi.
Je l’ai ouverte en mai 2023, environ deux mois après le blog. Ça me permet d’avoir plus de visibilité, mais c’est un autre monde.
Dopamine
Instagram est beaucoup plus addictif que le blog, parce que c’est plus dynamique. Chaque nouveau commentaire, chaque nouvel abonnement sur le blog me fait plaisir, mais c’est assez rare. Sur instagram, aujourd’hui, il s’est passé quelque chose à chaque connexion. Nouvel abonnement, nouveau commentaire, « j’aime ». Il y a un petit dashboard pour suivre l’évolution – sur le blog aussi, et, au début, j’avais un tableau pour suivre le nombre de vues, d’abonnés, d’articles, de j’aime et de commentaires. Mais, ces derniers mois, le tableau Instagram a pris plus de place.
Quand je m’embourbe dans de vastes étendues d’ennui, dont rien ne me fait sortir, où rien ne m’intéresse, une notification, c’est un peu de dopamine. Comme un carré de chocolat, un compliment, une attention. Tout comme le format court des reels : quand je n’ai plus l’énergie intellectuelle, le drive de regarder des épisodes entiers, de lire des livres, c’est si facile de scroller à l’infini en accumulant les mini-vidéos de quelques secondes. La poursuite des histoires auxquelles je peux m’identifier.
Tout ça n’est pas forcément très sain, mais c’est exaltant.
Surcharge
Il y a quelque temps, un de mes reels a été partagé à beaucoup de monde. Il n’avait rien d’extraordinaire : il parlait d’inconfort sensoriel, et en particulier de ces endroits où la peau est moite, ou elle se fait sentir, notamment l’endroit où ma poitrine touche mon ventre.
Ce reel a été partagé au-delà de mon aire habituelle, à des gens qui ne sont pas ceux qui lisent mes posts habituels. Ceux qui pensent que l’autisme est une mode, que les autistes avec peu de besoin de support volent les ressources des autres, que le DSM-5 (le guide des maladies et troubles mentaux) est une ineptie. Que la nouvelle définition du spectre de l’autisme, valable depuis 2013, est « une connerie woke réfutée par les psychiatres ».
Ceux qui disent que tout le monde est comme ça. Ceux qui disent que je fais semblant, mon « regard me trahit ». Je fais ça pour l’attention. Tout le monde est HPI de nos jours. On ne peut pas être HPI, TSA et TDAH, tu fais la collec ? Il faut choisir.
Ceux qui pensent que, parce que j’ai parlé de poitrine, je dois être d’accord pour recevoir une dick pic ou des demandes de conversations qui n’ont rien à voir avec l’objet de ma page. Qui me disent que je n’ai pas à être gênée de ma poitrine, que je suis « mignonne ».
Pendant quelques jours, les notifications n’arrêtaient plus. Le nombre de vues explosait. Au million, j’ai commencé à me dire qu’il devenait vraisemblable que quelqu’un, à mon travail, le voit. Je n’arrivais plus à regarder mon téléphone sans stress, sans surcharge, je ne pouvais plus répondre aux commentaires – pour essayer d’éduquer, de montrer mon histoire, pour me justifier, même. Pour continuer à apprécier les partages de ceux qui me ressemblent et savent de quoi je parle.
Je n’avais plus envie de déstresser en regardant les reels des autres. Je me remettais en question, en pensant que je ne pouvais prétendre au même niveau de douleur ou de problèmes que ceux-là qui se revendiquaient « vrais autistes ». Les commentaires nourrissaient mes doutes, mon sentiment d’imposture, mon sentiment de tromper puisque je parviens encore à travailler – pourtant, il faut voir ce que cela me coûte. Il faut me voir échouée sur le canapé à 19h, à peine capable de bouger, culpabilisant de laisser mon copain cuisiner seul, voyant la maison en bordel, la liste des choses à faire en déshérence, mon nouveau livre qui n’avance pas.
Communauté
Alors quel intérêt ?
Les gens, bien sûr. Le but n’est pas de « convertir » ceux qui pensent que mon autisme ne vaut pas celui des autres. De convaincre. De se montrer à ceux-là.
Le but, c’est de croiser ceux qui me ressemblent, dont les expériences n’invalident pas les miennes, qui sont assez différents pour enrichir ma vision du monde, mais pas si loin que nos différences sont irréconciliables.
Comme s’il y avait plusieurs mondes. Dans un monde idéal, je crois qu’on devrait pouvoir comprendre tout le monde – et j’essaie de le faire. Mais les comprendre ne veut pas dire leur donner raison, ou qu’ils me comprennent.
Peu importe. J’ai rencontré des gens super. Une communauté, une forme de partage qui me fait sentir un peu moins seule. Des neuroatypiques, des écrivains auto-édités, aussi. Il y a plusieurs cercles. La relation est souvent ambivalente. Je ne me sens pas aussi proche, je ne les sens pas aussi réels que des personnes que je croiserais en vrai. Mais il y a des moments de grâce et de partage. Des conversations. Mon interview qui paraîtra bientôt et qui fut un échange très intéressant.
J’aimerais que tout le monde puisse voir ma vérité, mais c’est impossible. Instagram me le montre bien. Ma vie aussi. Les avis des gens, notamment sur mes livres, sont fascinants pour ça. Chacun lit selon ce qu’il est.

Laisser un commentaire