Réécrire l’histoire

Réflexions sur les labels, les diagnostics, et le fait de grandir.

Lentement, avec des retours en arrières, des révélations, des oublis, j’essaie d’accepter mes ressentis, de les ressentir mieux, sans les nier avant même leur apparition. Lentement, j’essaie de déconstruire mes jugements sur moi-même sans perdre ce que j’aime être. J’essaie de naviguer mes contradictions, de changer vers le mieux, d’accepter aussi que ma notion de mieux, de bien, de beau, est responsable d’une partie de mes malheurs. Pas ce que je fais, ce que j’en pense. Mes ruminations ont un formidable pouvoir sur mes humeurs.

Parfois, il est utile de se faire violence et de se lancer dans une activité dont on ressort plus heureux. Parfois, il est utile de se relaxer sans culpabiliser de ce qu’on ne fait pas – corvées ou distractions.

Il y a tant de choses à comprendre à nouveau, tant de points de vue à réécrire, mettre en cause, garder changeants.

J’ai adoré la solitude et je l’ai haïe. J’ai rejeté le télétravail, rêvé de conversations profondes avec mes collègues, pleuré en retournant au bureau, submergée par tout ce que les interactions n’étaient pas, ce qu’elles avaient de décevant. J’ai choisi le présentiel, avant de me replier encore plus, avant de savourer la solitude d’un repas pris en solitaire. Quelques années plus tôt, j’éprouvais une certaine honte à manger seule, dehors, sur les marches devant le travail. Mais là, c’était l’évidence, la lecture, l’observation, la paix.

Un jour, je suis brisée, dans le bureau de ma psy, par ma solitude. Je sanglote que je suis une mauvaise personne, que je n’aime pas assez. Plusieurs mois plus tard – autre psy -, je sanglote d’être toujours derrière le voile, jamais pleinement dans l’interaction, d’être seule pour toujours, de ne faire que soulager cette solitude absolue avec mes relations, mes amitiés, mon couple. Je déroule, des raisonnements, des thérapies, je lis beaucoup, j’écris beaucoup aussi. Chaque livre me grandit. Je réfléchis à ces émotions, ces sensations à qui j’ai interdit d’exister. À celles dont je n’ai même plus le souvenir. Je réfléchis à mon avenir, et il paraît un peu plus optimiste qu’avant. À seize ans, je disais avoir fait mon deuil du bonheur, j’étais du genre « la vie est nulle, et après, on meurt ». J’étais dans un présent gluant, retenue à un passé dont je ne trouvais pas le sens, et sans vision d’un futur qui ne m’emplisse de lassitude éprouvée d’avance.

Peu à peu, je prends la mesure de l’indifférence que j’ai cultivée, et je dois accepter que mon esprit a su se protéger, choisir ce qui lui était favorable, et que le cœur qui reste de ma souffrance est la sensation que ça aurait dû être autrement, que ce n’est pas bien. Deuil à faire, mais progressivement ça n’a plus de sens de penser comme ça, c’est difficile de reconvoquer cette souffrance que je sais avoir été intense. J’essaie d’apprendre à regarder vers l’avenir. J’essaie de trouver une valeur centrale sur laquelle axer ma vie : faut-il que ce soit le bien, la vérité, le bonheur ?

Tout est plus compliqué que ça. Je l’ai toujours su mais je le redécouvre chaque jour. Je ne sais toujours pas, c’est une sorte de point central. Il s’agit, finalement, de toujours se réinventer, se reconvaincre, de vivre avec ses valeurs du moment, d’accepter que rien ne dure. Que mes valeurs de toujours sont, pour certaines, fausses, faussées, sociales, inapplicables. Que je devrai toujours me réinventer, en permanence, que ce n’est ni une faiblesse ni quelque chose à corriger.

J’essaie de comprendre ce qu’est la personnalité, de comprendre ce qui aurait pu être et de vers où j’aimerais me conduire.

Je m’appuie sur les idées de curiosité, d’apprentissage et de découvertes, je trouve belle l’idée de voir la vie comme une aventure.

C’est peut-être ça, la valeur centrale, celle qui a peu changé. L’objectif à poursuivre. La beauté, qui peut contenir tous les changements de paradigmes, toutes les idées. Je cours après la beauté. Je juge la valeur des hommes à la beauté du concept que je me crée d’eux. À ce sentiment indescriptible et agréable que j’ai à caresser l’idée que j’ai des gens et des choses dans ma tête. Des histoires. Je ne sais pas si je ferais un jour l’expérience de la connexion absolue à l’autre, comme d’autres semblent le vivre, comme j’en avais rêvé. L’idée est belle, mais, si elle est inaccessible, j’ai d’autres choses.

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