Au risque d’en surprendre quelques-uns, j’étais une enfant neuroatypique non-diagnostiquée, et je n’ai pas été harcelée à l’école. Je ne dirais pas forcément que j’avais beaucoup d’amis proches, encore moins que je n’étais pas vue comme bizarre, mais j’ai eu la chance de ne jamais être vraiment ostracisée pour cette différence. Petit tour d’horizon de mon parcours social en lien avec l’école !
*Attention, tartine, je raconte ma vie !*
Maternelle
En maternelle, j’avais une meilleure amie, et j’étais un peu possessive. J’ai le souvenir d’avoir rejeté ou fui une troisième petite fille qui voulait se mêler à nous. J’ai peu de souvenirs avec d’autres ami(e)s, et quelques souvenirs de solitude, notamment à l’heure de la sieste. Mes premiers souvenirs de la vastité du temps passé avec son propre esprit.
Primaire
La primaire est déterminante. Ma meilleure amie saute le CP. Elle sait lire. Moi aussi, mais je crois que je ne le dis pas. Ou je suis jugée trop jeune – je suis de fin d’année. Je vais au CP, je m’ennuie. Un jour, je pense que cette année ne me servira jamais à rien. Je me souviens d’une certaine solitude, dans ces moments, mais aussi de volonté de me lier à la maîtresse, de l’impressionner. CP, ou CE1, j’ai une autre meilleure amie. Toujours assez exclusive. Je crois que personne ne me rejette vraiment – je suis assez transparente, probablement.
Et puis je ne le suis pas assez. Ça restera ma seule expérience de harcèlement : un garçon est « amoureux de moi ». Il me frappe pour voir sous mon t-shirt (pourquoi ? Nous avons huit ans, et ce qu’il y a sous mon t-shirt manque singulièrement d’intérêt). Il m’offre des stylos brillants si je l’embrasse, sur la joue. Il raconte qu’il m’a embrassée sur la bouche, j’ai honte d’avoir monnayé mon inconfort contre des stylos (mais ils étaient à paillettes !), et je ne me souviens plus de ce moment.
Il va au ski au même endroit que moi et raconte que nous avons dormi dans le même lit. Pas au même moment, certes, mais j’en reste saisie. Il s’arrange pour être à côté de moi à la cantine, et je suis perdue et seule, cette année-là, ma meilleure amie n’est pas dans ma classe. Je me cache pendant les récrés. Il fait un montage de nos têtes découpés sur des corps nus. Cet enfant ne va pas bien.
Moi non plus. Je ne parle plus à personne. Est-ce à cause de lui ou de moi ? Je ne comprends pas le monde.
Quelques temps plus tard, je croise sa mère, et j’exprime, je ne sais comment – j’aime parler aux adultes, mais je ne suis pas toujours très claire. On dit que je suis timide – que son comportement est incorrect. Elle me dit que c’est parce qu’il m’aime. Je ne sais pas ce que ça veut dire, mais j’ai les jambes couvertes de bleus, et je lui en veux plus qu’à son fils, de ne pas avoir su comprendre.
CM1. Le harcèlement, je crois, a commencé en fin de CE2. Je suis dans sa classe, et ma meilleure amie non. C’est le dur de l’expérience. Il y a une autre fille, une amie, mais son souvenir me paraît loin, moins central dans mon histoire. Fantomatique.
Un jour, ma mère nous accompagne à une sortie de classe. Je suis éteinte, absente. Elle prend rendez-vous avec la maîtresse, qui tombe des nues en apprenant que je ne vais pas bien, puis, me regardant, le voit aussi. J’avais été transparente. Deux semaines plus tard, début décembre, je saute une classe et je passe en CM2.
Les gens sont gentils. Je suis un peu une bête de foire, mais aussi une personne plus jeune qu’on a demandé à bien accueillir, j’imagine. On me photocopie des cours, on me parle, on s’assoit à côté de moi. Je suis un peu empruntée, un peu dans la contrainte du monde, je ne suis plus éteinte, je dois fonctionner. Sortir de ma zone de confort, qui était devenue d’inconfort et de tristesse, de rêve de fuite. Je ne suis même pas bizarre, juste arrivée en cours d’année, un peu intello. Ce statut un peu décalée justifie tout, y compris ma timidité. Je n’ai jamais pleinement l’impression de faire partie de cette classe, mais cela paraît normal.
Collège
Je retrouve des gens de la primaire, donc une amie proche que je garderai jusqu’au bout de l’école. C’est la section européenne allemand, je ne suis pas si bizarre. Plutôt bonnes notes, peu bruyante. J’ai un groupe. Avec les années, je deviens peut-être un peu plus bizarre, un peu moins invisible, les garçons ne m’intéressent pas, l’avenir me fait peur, mais je ne suis pas la seule à lire tout le temps ou à être bonne élève, à prendre mille options, à ne pas savoir ce que je veux dans la vie. Et le groupe évolue autour de moi. Pendant sept ans, jusqu’à la terminale, une grosse partie de ce groupe reste solidaire. Quelques nouveaux me trouvent « froide » ou « hautaine » ou « bizarre ». Mes amies aussi, ma famille aussi : j’en fait une personnalité, la normalité me serait une insulte. Je suis parfois naïve, je marche dans une blague ou deux, ce qui me vexe affreusement. J’avance avec la terreur de « paraître stupide », je préfère ne pas clarifier ou me débrouiller toute seule, avec mon incertitude, plutôt que de poser des questions. Avoir l’air blasée pour ne pas montrer la mauvaise émotion.
Je pars en échange linguistique avec cette amie proche (pour la première fois, j’ai plusieurs amis à la fois). Nous sommes deux à lire sur la pelouse pendant que les autres se baignent ou boivent des bières.
Lycée
En seconde, plus d’inconnus, mais le groupe reste. Je ne suis pas assez différente ou ostracisée pour que les nouveaux me parlent, pour eux, je suis invisible. Au bout de plusieurs mois, certains ne connaissent pas mon prénom.
Les garçons deviennent un sujet pour les autres. Pour moi aussi : j’ai de plus en plus peur d’eux, car je comprends qu’il se passe avec eux quelque chose que je ne comprends pas. Je me méfie de la méprise et de ce à quoi ma cordialité m’engagerait. J’évite ces situations. Je pars du principe que chaque garçon pourrait avoir un faible pour moi, ou qu’il pourrait y avoir des sous-entendus, donc je suis toujours distante. Je déteste qu’on m’attribue des intentions pour eux, je ne comprends pas. J’observe en moi, à l’affût de tout sentiment de ce genre, pour comprendre.
Terminale S, spé math. Toujours très bonne élève, même meilleure au lycée qu’avant. Je suis terrifiée, parfois, de ne plus être « en avance », de ne plus être « excellente ». C’était mon identité.
Je vais mal, au lycée. Mes amis sont les mêmes, mais eux commencent à avoir des rêves, des intérêts, des ambitions, des rebellions. Je me sens incroyablement vide.
Un jour, je pleure en classe, et on me demande pourquoi, ce qu’il m’arrive. L’idée que mes humeurs soient déclenchées par des éléments externes, de la « vraie vie », me paraît risible. Je ne réponds rien, je voudrais juste réponde « il n’y a rien, simplement, certains jours, rien est plus difficile à supporter que d’autres« .
J’ai eu de la chance
J’avais une place, un rôle social (la bonne élève, la petite fragile qui vient de sauter une classe, la fille étrange « dans le bon sens » : cynique, je-m’en-foutiste, qui calcule souvent son âge en jours ou qui écrit des poèmes). J’ai évolué dans un groupe qui m’a portée pendant toutes mes années de collège et lycée, et qui m’acceptait. Un groupe qui lui-même était un peu spécial (les allemands européens latinistes qui font option aéronautique ou astro-philo, donc 25% a un an d’avance).
Puis, en prépa, les anciens premiers de classe, ouverts d’esprits.
Puis les ingénieurs qui aimaient les sciences pures et la psychologie.
Pourtant, partout, je me suis sentie un peu différente, même si j’étais assez intégrée. Je me suis sentie un peu éloignée, en terme de contact, de communion d’esprits. Mais c’est mon lot. J’ai toujours fantasmé une forme de communion qui, je crois, n’existe pas. J’ai attendu de ressentir profondément mon contact avec l’autre, mais je ne comprends pas mes propres émotions.
J’ai eu de la chance. À 21 ans, après plusieurs expériences malaisantes à ne pas savoir à quoi m’en tenir avec les garçons (ou les filles, mais le malaise n’était pas le même), et néanmoins une certaine curiosité, j’ai rencontré un garçon à qui je peux dire « tu es bizarre » comme on dit « je t’aime ». Qui accepte mes propres bizarreries, qui n’avait pas non plus de mal à s’imaginer seul toute la vie.
J’ai des amis proches, bizarres, et pas comme moi.
Une famille dont je suis proche (qui ne sont probablement pas eux-mêmes tout à fait classiques).
À pleins d’égards, j’ai eu de la chance.
À pleins d’autres, ça ne m’a pas empêché des souffrances.
C’est la vie !

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