, ,

La dépression et moi : partie 1 (9-16 ans)

L’article sur la dépression que j’ai écrit au tout début de ce blog

Partie 1 : 9-16 ans

Enfance

Hello Darkness my old friend…

Novembre 2005. Je viens d’avoir neuf ans. Je suis en CM1 et je ne suis pas là. Je regarde dehors. Je fais le minimum. Je rêve de fuir. Je m’imagine sauter dans l’arbre, devant la fenêtre, traverser la haie. Récupérer quelques affaires chez moi, et partir. À cheval, de préférence. Me perdre dans les chemins de campagne qui entourent mon village.

Août 2011. J’entre bientôt en première, j’ai quatorze ans, neuf mois. Je vois un psychologue pour la première fois, je lui raconte cette histoire. Elle me parle d’un début de dépression.

Ma mère me sauve, à l’époque. J’ai neuf ans mais je parais normale, personne ne voit rien. Et puis ma mère voit, ma mère accompagne ma classe en sortie scolaire. Elle attire l’attention. La maîtresse n’avait rien vu, désormais elle me regarde : je n’ai rien à faire là. Je change de classe. Je me réveille, quelques mois, poussée par le réel, par la peur de décevoir, de faire mal.

Adolescence

J’ai quatorze ans et je m’enfonce. J’écris beaucoup, je me sens vide, triste. Je n’ai pas de rêves pour l’avenir, pas d’intérêts immédiats, ou si peu. Je m’enfonce. Je suis inaccessible. Je suis bien entourée mais je m’enfonce. Il y a deux ans, j’ai réalisé que ma vie était insignifiante, que j’étais une poussière dans un vaste univers. Que ma vie est un hasard absolu. Que rien n’a d’importance.

Quelques mois plus tard, j’ai eu la conscience profonde, j’ai fait l’expérience du fait que j’allais mourir. J’en étais obsédée, chaque instant me précipitait vers la fin, vers la disparition de ma conscience. Je voyais l’univers vaste et vide, et ma conscience séparée de tout corps, seule, à jamais. Je voyais le monde sans moi, je n’y étais plus, il continuait. Il est étrange d’imaginer le monde avant notre naissance, tout fonctionnait, tout allait de l’avant, et on aurait pu ne pas naître. On mourra, et rien n’aura changé. Notre conscience est notre tout, tout essence, notre subjectivité, et elle n’est rien.

Quelques mois plus tard, encore. J’ai treize ans. On commence à parler beaucoup d’écologie, de tri sélectif, de mesures à prendre. Je m’obsède. J’ai peur. Le bruit de l’eau qui coule me met physiquement mal à l’aise, comme si tout était perdu, comme s’il fallait se restreindre de tout. Les lumières allumées, leur léger grésillement. Les néons qui restent éclairés la nuit. Le chauffage à fond, à l’école. Tout me brise. Pourtant, la vie n’a pas de sens.

Quatorze ans. J’entre en première scientifique, après bien des hésitations. Je n’ai aucune idée de ce que je veux faire. Je n’imagine pas mon futur. Je vis dans un instant présent absurde, douloureux. La douleur physique me distrait. Je suis perdue dans mille pensées, et la réalité devient un poids. Je ne veux plus sortir de moi-même.

Seize ans. Je suis en terminale. J’apprends à conduire avec angoisse. Je réfléchis à l’avenir avec angoisse, dans le prisme du présent affreux, du choix immédiat à faire, des candidatures à effectuer. Rien ne me fait envie. Je tiens tout à distance. Je me berce de livres et de films, je refuse de penser. J’écris dans mon grand carnet vert, je pleure, je me distrais. Je pleure devant les choristes et je pleure devant Docteur House.

L’adolescence.

J’avais espéré que tout passerait tout seul. Que je serai adulte, que je deviendrai comme tous ces adultes qui semblent savoir où ils vont, ou, du moins, semblent ne pas avoir envie de pleurer en permanence.

J’écris. Grandiloquente. Cris, appels à l’aide qui n’atteignent personne, à qui je ne donne pas la chance d’être écoutés.

L’ennui. Ennui oppressant qui m’a tant étreint. Qui m’a volé ma vie, a perverti mes souvenirs, et dont je ne garde qu’un souvenir vague. Je refuse que cela recommence. Et pourtant. Je me retrouve transportée dans cette époque que j’aurais voulu oublier et qui depuis un an ne cesse de me hanter. Au moment où je voudrais voir ma vie s’ouvrir devant moi en un million de possibilités, je ne vois rien. Un avenir qui reste gris, comme dit la chanson. Je n’ai pas d’avenir, si ce n’est la mort qui se profile à l’horizon, menaçante mais quelque peu rassurante. On me dit que je le peux, que tout m’est ouvert. J’ai quinze ans. La vie devant moi ? Seulement le vide. Et l’ennui. Je ne veux rien faire, je n’ai envie de rien faire. Ou peut-être que le chose que j’ai envie de faire est rien. Le rien m’ennuie, mais le tout est trop dur, trop long, trop mal. Je ne peux plus que subir, spectatrice, ma vie que j’aurais pu envier si mon esprit ne me dégoûtait pas.

12 février 2012

Est-ce que tout ceci vaut la peine d’être vécu, ne serait-ce qu’une heure de plus ? La seule chose qui me maintient en vie ne semble plus être que le manque de courage pour y remédier. Je me sens lâcher prise. Pourtant les jours de paix et de soleil paraissaient m’avoir rasséréné. Mais je suis toujours là, cachée. Et parfois par trop visible. S’il y a quelqu’un, quelque part, quiconque. J’ai besoin d’aide. On ne peut pas m’aider. Je ne sais plus rien. Je crois que ma faiblesse d’esprit me pousserait à croire n’importe quoi. Je pourrais même finir par croire en Dieu, qui sait ? Et peut-être que tous ceux que j’ai toujours qualifiés d’imbéciles ont finalement compris l’essentiel – être heureux. Lâcher prise. Et oublier que tout est si vain, si faux. Je ne veux pus qu’oublier. Dormir. Ne jamais me réveiller. Bouger. Changer. Avoir des rêves et des espoirs. Pouvoir tomber amoureuse. Pouvoir vivre, tout simplement. Car je ne vis pas, même si mon corps est animé par des relations intercellulaires qui le maintiennent en vie, jusqu’à ce que je m’éveille. Ou comprenne que cette attente est vaine, que je suis trop faible pour apporter à ma vie un sens que la nature n’a pu lui donner. Mais je suis la nature, et la nature me régit. Donc aucun sens ne peut arriver s’il doit venir de moi. Donc j’attends, désespérée, qu’on puisse m’apporter la vie sur un plateau d’argent, comme on l’a déjà fait il y a plus de quinze ans, en espérant que je pourrais cette fois la saisir.

20 mai 2012

Je me sens si vide. Et ce vide nouveau m’emplit, je me réduis au vide, et le vide ici la souffrance ne l’est pas, le vide me permet seulement de m’émerveiller à nouveau sur la magie des mots. Et je me demande en quoi cette suite de vocables qui se suivent est particulière, ou particulièrement belle. Je ne comprends plus, je me crois devenir stupide. Mais, malgré le manque – de malheur ? – est-ce si mal ? Je ne veux pas répondre, ne m’en sens plus capable. Je ne pense plus. Je m’éteint. Et qu’importe…

12 septembre 2012

Depuis combien de temps suis-je morte ? Depuis combien de temps erré-je tel un cadavre dans les méandres de ma vie hantée ?

30 mai 2013

Délire est un si joli mot. Bien plus beau que son faux-frère Désir. Délire. Je n’y vois même pas lire, mais seulement l’égarement. Le vide qui m’habite et qui prend soudain forme. Forme de violence. D’incompréhension. De décalage. De Délire. Vrai, j’aime ce joli mot. Et il m’habite.

Juillet 2013

Trouverai-je jamais une action dotée d’un sens véritable, une chose à faire, un endroit où aller, une personne avec qui être, et qui saura rendre ma vie moins dénuée de sens, durablement ? Continuerai-je à saborder toutes les possibilités qui me seront offertes ? Les nouveaux champs, pas assez intéressants pour me détourner pour toujours de l’absurdité de la connaissance ? Dès lors que la connaissance n’est plus un but en soi, pourquoi accepter d’apprendre, accepter qu’elle détruise tout ce à quoi on a jamais pu croire, tout ce qui était un cadre ?
(…)
Je les entends encore : les chiens, le vent, le ruisseau où elle se jette. C’est, je crois, la Guerre d’Eliane, qui me fournit cette image qui, comme toutes les autres, ne m’appartient pas. Est-ce là une théorie du moi ? En réalité, qu’importe, j’ai la curiosité gâtée, la connaissance blasée, depuis longtemps les « je-m’en-fous » sont la réponse simple à apporter aux moments où l’on devrait devenir autre, et grand, et vrai, tous ces termes grandiloquents que je hais par préjugés, d’une haine aussi commune qu’eux-mêmes. 

28 février 2016

Laisser un commentaire