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Mes défis en tant qu’autiste HPI

garçon seul dans la nuit

Sentiment de connexion

C’est le premier point qui me pose problème, intellectuellement. Le premier point qui fait que je me remets en question, que je trouve illégitime ou une « mauvaise personne ».

Mon sentiment de connexion avec le réel, avec les autres est assez difficile à ressentir et à expliquer : j’ai tendance à tout tenir à distance, à opposer fortement les moments où je pense, où « je suis dans ma tête », et les moments où je suis dans le réel, où je fais des expériences sensorielles, et où je suis en contact direct avec le monde, y compris les personnes et les animaux. J’ai du mal à saisir intellectuellement les sentiments que je ressens alors, ou je m’attends à ce qu’ils soient « évidents », « immenses », voire « transcendantaux ». Du coup, dans la plupart de mes interactions quotidiennes, j’ai l’impression de passer à côté du sentiment que je pense devoir ressentir : une présence au monde et à l’autre, une immédiateté, une évidence de l’existence et de la présence de l’autre. En gros, j’ai l’impression que le monde ne m’est accessible que de loin, à travers une vitre ou un voile, qui est ma propre tête, ma propre perception.

Hyper-intellectualisation

Dans la même veine, j’intellectualise beaucoup. Je me sens à distance de mon propre corps, de mes sensations physiques, de mon expérience du monde. Je fais une différence entre ma tête et le réel, et j’ai l’impression de n’exister que dans ma tête, de visiter parfois, de loin, le réel, plutôt que d’y vivre. Je fais une différence entre mes sensations physiques, réelles, et mes sensations intellectuelles (le sentiment de grandeur, de beauté, de tristesse, etc.). Je fais l’expérience de tout en concepts, à distance. J’ai l’impression vague que j’ai mis le monde à distance presque volontairement, qu’il serait possible de retrouver une expérience plus immédiate et immédiée du monde, mais je n’en ai pas de vrais souvenirs et j’en doute parfois.

Motivation

Un point qui découle probablement en partie du précédent : j’ai des soucis de motivation et d’intérêt. En bonne autiste HPI, mes intérêts peuvent être grands (même si quand j’y réfléchis trop fort, je les déconstruis et arrive à me persuader qu’ils sont des distractions plutôt que de véritables intérêts enthousiasmants). Il m’est très difficile de faire des choses qui ne m’intéressent pas ou pour lesquelles je ne ressens par d’urgence, comme déclarer mes impôts (l’enfer sur terre), ou simplement travailler, considérant que mon travail correspond à un emploi sûr et fiable, plutôt qu’un intérêt. Je n’arrive donc à travailler que quand je m’y sens obligée (par ma culpabilité, par des dates importantes à tenir, par les attentes des autres…). Les choses « réelles », les sorties, les activités, les projets, sont souvent difficiles pour moi, car je sais que mes sentiments sont régulièrement ambivalents.

Ennui

J’ai longtemps pensé que je souffrais d’ennui chronique, que c’était la base de tous mes problèmes. L’ennui était alors l’incapacité d’éprouver un intérêt soutenu, un enthousiasme pour les sujets. L’ennui c’est ruminer en regardant dans le vide, c’est ce sentir surchargé sensoriellement ou intellectuellement, c’est n’avoir envie de rien faire, c’est avoir à faire des choses qui ne m’intéressent pas. L’ennui, c’est ces instants où je ne suis pas passionnée, et comme je me suis coupée, je refuse beaucoup de sentiments, y compris positifs et passionnels, l’ennui est devenu le grand ennemi, et l’état par défaut.

Recherche de sens et absurdité

Lié à l’ennui et la motivation, lié à la connexion car le sens transcendantal, c’est le plus puissant et c’est vouloir entrer en connexion avec plus grand que soi, le sens a été également un grand poncif de mes années de tristesse et d’errance. Quand je n’avais pas de motivation, quand je me sentais vide, c’était la phrase qui me venait tout le temps : rien de tout ça n’a de sens. L’école, les autres, la société, les objectifs des gens, l’argent.

La vie.

La vie est absurde, elle n’a pas de sens. C’est pour moi établi, maintenant. Si on réfléchit à fond, on est une poussière dans un espace-temps infini, un point qui vaut à peine la peine d’être mentionné. Mais le sens, c’est ce qui permet de gérer cette immensité d’absurdité. C’est insuffler un intérêt, une motivation ou un but à un cerveau qui souffre. Le tromper, peut-être, mais il en est si persuadé quand l’intérêt, l’enthousiasme, certes volatils, reviennent.

Il y a les grands sentiments, les grandes sensations, pour l’instant presque uniquement intellectuelles : la joie de voir la beauté, la grandeur, les mots, l’art, les histoires, la beauté des gens et de leurs histoires. Pour l’instant, c’est ce que je veux poursuivre, en espérant que mes fascinations esthétiques pourront s’incarner un peu plus. Que mes intérêts pour mes proches pourront être ressentis de façon plus immédiate et présente, corporelle, incarnée.

Sensorialité

La sensorialité est un problème complexe pour moi. Je suis coupée de mon corps, et j’oscille entre rechercher les sensations (l’acide, les bulles, la douceur, le poids sur moi, la musique, les lumières psychédéliques, par exemple. Ou simplement la présence de l’autre), et les fuir (le brouhaha de l’open space, le bruit fort d’un concert, la lumière trop blanche, les contacts trop faibles, effleurements qui « chargent » ma peau et la rendent inconfortable). J’essaie de me réconcilier avec mes sensations physiques, sans qu’elles deviennent si envahissantes qu’elles en impactent négativement tout ce que je gère aujourd’hui.

Fatigue

Chat dans son arbre à chat
Y en a sûrement qui s’interrogent moins que d’autres sur le sens de la vie et qui se morigène moins de ne pas s’intéresser ou de ne pas avoir de motivation…

Ma compagne de toujours, devenue très prégnante à la fin de l’adolescence. Devenue presque une stratégie pour me fuir : dormir pour ne pas penser, se jeter dans une somnolence vague et peu reposante pour ne pas voir le réel.

Corporalité

Je suis un être mou, mon corps est faible et fatigué, instable et incompréhensible. Capable du meilleur et du pire. Plein de vertiges, imposant une fatigue qui a un impact sur mes pensées, mais loin de moins. Contrainte seule, parfois. Vecteur vers le monde.

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