
Réflexions après mon diagnostic d’autisme, extraites de mes écrits personnels :
Pourtant, peu à peu, j’allais mieux. Rien n’avait changé, intellectuellement, mais mon état d’esprit, ce donné, cet ennemi de toujours, était plus serein. Dans l’attente d’un avenir, plutôt que dans sa terreur. J’en devenais un peu plus maître, ou il devenait plus gentil avec moi. On s’apprivoisait, lui et moi.
Plus j’appréhendais cette différence nouvellement nommée, plus je me demandais, en fait, si j’étais si différente que ça. Je n’étais pas ce cliché de petit garçon autiste qui hurle quand on le touche – ça ne m’est arrivé qu’une fois, est-ce que ça compte ? Il faut dire aussi que ma réussite, sur le plan social, et mon entourage, qui m’acceptait, faisait qu’il ne venait à personne l’idée de me toucher de façon que j’aurais refusé. Personne ne voulait me forcer, m’emmener, de détourner. Je m’étais conformée assez, j’avais prouvé mon droit à l’autonomie. Et le travail était ma dernière entrave. Vendre mon cerveau, mon temps, remplacer des intérêts, certes souvent relatifs, par des choses qui, par principe, parce qu’elles m’étaient imposées, ne m’intéressaient pas, ou rarement.
Et finalement, mes collègues me semblaient pouvoir comprendre, me semblaient ne pas plus apprécier leur travail que moi. Au détour d’une conversation, un collègue qui avait consacré une grande énergie à un concept abscons, en réunion, me disait qu’il trouvait également que c’était stupide.
Et, finalement, tant de symptômes, tant de traits autistiques me semblaient juste une exagération de la réalité, ou d’autres difficultés, comme l’anxiété sociale, comme l’angoisse de l’inconnu. Plus je cherchais à mettre le doigt sur la différence fondamentale, plus je m’informais sur les différences chimiques et développementales des autistes, moins je parvenais à imaginer qu’il existât des gens qui n’avaient rien de commun avec ce tableau. Dans une conversation, plutôt que de ne jamais regarder mon interlocuteur, j’observais ses yeux, et il ne semblait pas plus que moi savoir quoi en faire. Je cherchais à comprendre en quoi mes intérêts étaient différents et spécifiques, comment quiconque pourrait avoir une conversation dans l’instant, sans réfléchir plus à l’interaction elle-même qu’à son contenu.
J’observais le monde avec une joie, une innocence d’enfant renouvelée, et je ne m’imaginais pas ce qu’il y a dans la tête des autres. Qui sont les gens normaux ? Qui sont les gens dont j’aurais dû être rejetée ? Pourquoi ne l’avais-je pas été ? Pourquoi m’étais-je quand même sentie différente ? Lesquels de mes proches, des figures publiques, de mes collègues me ressemblaient ? Qui étaient ces gens si bêtes et manichéens qui commentaient les articles sur les actualités en ligne, ou sur YouTube, et étaient-ils manichéens d’être autistes ou d’être bêtes ? Quelle était la part de nature humaine et la part de nature autistique ? Si les autistes peuvent masquer pour s’adapter aux règles perçues, comment être sûrs qu’on n’est pas tous autistes, rentrés dans le monde à des moments différents, changés par lui ? Si les neutoatypiques qui s’ignorent sont les premiers à dire que « tout le monde fait ça, ce n’est pas bizarre », comment s’assurer que les règles sociales ne sont pas qu’un mécanisme social de réplication dont personne n’est vraiment dupe, que personne ne comprend vraiment ?
Si les cultures d’Asie de l’Est sont plus proches des traits autistiques que des cultures basées sur le contact, la négociation ou l’exubérance, est-ce que l’autiste peut être une caractéristique intrinsèque ?
Il y a pourtant un truc, semble-t-il. Tout aussi nébuleux et incompréhensible que le truc que j’avais théorisé pour moi-même enfant. Peut-être est-ce mon milieu, peut-être est-ce l’influence de mon HPI, peut-être n’ai-je rien compris à rien et suis-je vraiment différente. Mais j’ai trouvé, en m’intéressant aux gens – mon nouveau truc, depuis quelques années, que tout le monde pouvait avoir une conversation profonde, un intérêt profond, une difficulté à se concentrer en réunion. Des bons jours et des mauvais jours. Alors, certes, les traits autistiques sont des traits humains, il y a une notion de seuil, une notion de régularité. Une notion selon laquelle je ne comprends pas, je ne vois pas mon propre effet sur les gens, ma propre façon d’être. Je théorise étrangement celle des autres. Certes, au bout du décompte, je suis toujours un peu bizarre, parmi les gens normaux, parmi des HPI, parmi les autistes. Je ne sais pas. J’avais plein de clichés sur l’autisme – pourtant je pense à la possibilité de l’être, sans y croire, depuis une quinzaine d’années. J’avais fait des tests en ligne, pour rigoler, comme des tests de QI, qui avaient dit que j’avais des résultats de personne autiste, et cela n’avait rien changé à ma compréhension de ma personnalité.
Aujourd’hui, je passe beaucoup de temps à me renseigner sur l’autisme. Et je crois que je n’ai toujours rien compris.

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