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Est-ce moral d’avoir des enfants ? En tant que neuroatypique ?

Voir aussi : Un jour, un psychiatre m’a dit de faire des enfants et de trouver la foi. J’y disais que faire un enfant pour aller mieux et m’occuper semblait une idée compliquée, quoique parfois séduisante.

Oui, je sais, petite Noémie, la question est confusante…

Je pense souvent à la question. Avoir des enfants un jour. Je pense à la grossesse, une expérience que je ne voudrais pas ne jamais vivre.

Quand on cherche sur internet des pour ou contre sur la question, on ne trouve pas grand-chose pour. Ceux qui ne veulent pas d’enfants se justifient, et pour les autres, ça paraît évident. Comme si on ne se posait pas la question. J’ai lu beaucoup de témoignages, aussi, indiquant que ceux qui n’en veulent pas sont sans cesse remis en question, voire harcelés par leurs proches, et même des moins proches qui se mêlent de tout.

Ce n’est pas du tout mon expérience. Mon entourage en parle peu, et respecte mon choix, quel qu’il soit, et mon non-choix. Je me sens aussi, pour des raisons que j’essaie de comprendre, poussée à repousser l’idée, pour l’instant. Ne pas être trop une fille, je suppose. Trop clichée. J’étais aussi comme ça enfant. Fascinée par le concept de grossesse (principalement) et d’enfants (secondairement), mais sans vouloir l’avouer. Eprouvant une certaine honte à être « normale ».

Pourtant, je ne sais pas si je veux des enfants.

Rationnellement, cela paraît assez absurde :

  • Le monde va mal, est compliqué, et avoir des enfants n’est pas écologique. Avoir des enfants, c’est aussi avoir peur de les vouer à une future apocalypse, ou, en étant moins drastiques, au moins une vie plus compliquée que la nôtre, potentiellement marquée par des manques de ressources, des conflits d’accès aux ressources, et/ou la détresse psychologique de voir un monde ou une ère du monde disparaître. C’est un argument social : la société, le monde vont mal, la planète est surpeuplée, n’a pas besoin d’enfants supplémentaires. Bon.
  • J’aime avoir du temps libre et de l’indépendance. Je passe une bonne partie de mes journées de travail à me languir du soir, où je pourrais profiter (généralement, je suis trop fatiguée pour faire autre chose que regarder la télé, de préférence un programme qui m’évite de réfléchir. Ah, et j’ai juste de l’énergie pour me sentir coupable et déprimée). Les enfants, ça prend du temps, et c’est une contrainte, ça prend de la bande passante, même quand ils ne sont pas là, pour gérer l’organisation, les rendez-vous, les courses, que des choses que j’aime pouvoir repousser ou avoir le temps de faire.
  • J’ai parfois besoin de silence, et de ne pas être trop stimulée. No comment, les enfants ne sont pas réputés pour leur calme ou leur adaptabilité à mes propres besoins en termes de stimulation. J’ai toujours hâte de voir les enfants de mes amis, mais me demande pourquoi quand ils se mettent à hurler !
  • Je peux être extrêmement patiente quand je suis dans une bonne disposition d’esprit, mais je suis plutôt soupe-au-lait lorsque je suis fatiguée. Le but n’étant pas de hurler et de traumatiser des enfants.
  • J’ai toujours eu des difficultés à m’adapter au monde, ou plutôt, je m’adapte à l’extérieur, et j’en souffre à l’intérieur. Même si je considère que ma vie vaut la peine d’être vécue, j’ai aussi vécu des instants très désagréables, dont mes enfants risqueraient d’hériter. Voire pire. Je ne suis pas encore fixée sur toutes mes particularités cérébrales, mais je suis capable d’équilibrer ou de compenser certaines difficultés. Potentiellement, un enfant de moi pourraient hériter des caractéristiques les plus difficiles à supporter, sans avoir celles qui me protègent (mon HPI, par exemple). Par ailleurs, si mon enfant n’était PAS atypique, saurais-je être une bonne mère pour un enfant avec des besoins différents des miens ? Saurais-je les comprendre et les aimer de la même manière ?
Ma tête quand j’ai réalisé que le monde était une réalité absurde 😏
  • Parfois, je me sens si loin du monde et de la réalité que je doute de la réalité de mes proches, et de ma propre réalité, ou de mon amour pour les autres, car je le ressens d’une façon qu’il m’est difficile d’assimiler à l’amour passion, fou ou inconditionnel que vantent les livres. J’ai peur d’être incapable de démontrer ou de ressentir assez mon amour pour un enfant, ou de le traumatiser en lui donnant l’impression qu’il n’est pas aimé. J’ai peur d’avoir un enfant et d’avoir l’impression de m’être fabriqué une énorme contrainte, sans m’y connecter émotionnellement, de passer à côté de l’émotion « tu verras c’est un sentiment unique« . Parce que, généralement, je ne ressens pas les sentiments « universels » de la façon dont je m’y attendais, ou avec certitude.
  • J’ai peur, dans la même veine, d’être une mauvaise mère. De ne pas me sacrifier assez. De ne pas savoir quoi faire. De vouloir exister en tant que personne, d’avoir besoin de temps libre et d’indépendance. De ne pas prendre les bonnes décisions, de ne pas être capable d’adapter mon discours à un enfant. Par exemple, quand j’explique quelque chose, j’ai le besoin de préciser les limites et les bémols de ce que je dis, de ne pas trop simplifier. L’idée d’expliquer la mort à un enfant en disant que la personne est allée au ciel me met mal à l’aise, mais l’idée de balancer toutes mes conclusions, nécessairement temporaires, à un enfant, me met aussi mal à l’aide. J’ai également peur de ne pas savoir accompagner les découvertes et les questionnements d’un enfant de façon adéquate (ou au moins non-traumatisante), sans projeter mes propres questionnements et expériences.
  • J’ai peur de la notion d’éducation et de la responsabilité énorme qu’est la parentalité : même si l’enfant aura d’autres influences et qu’on ne peut pas le créer à l’image qu’on imagine par l’éducation, ce qu’on lui dit, ce qu’on lui montre, ce qu’on lui transmet de notre expérience du monde informera profondément sa propre vision du monde. Mes propres incertitudes face au monde me font peur, j’ai peur de devoir transmettre une vision dont je doute.
  • Je pense tous les jours à avoir un enfant, je m’imagine enceinte, mais la grossesse me paraît plus évidente que le fait d’avoir un enfant. Je ne m’imagine pas sans enfants à soixante ans, mais je ne suis pas sûre, néanmoins, que ce soit une bonne idée. Le doute même me met le doute : une si grande décision devrait, dans mon esprit, être certaine. Tout le monde dit qu’il faut être sûr, qu’il faut vraiment vouloir un enfant, tout en affirmant qu’il n’y a jamais de moment idéal ou de certitude absolue. Pas très clair…

Ce sujet est très sensible pour moi, et je serai très curieuse d’avoir des arguments et des éléments de débat en commentaires, notamment de la part de parents différents, ou d’enfants différents.

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