Peut-on et doit-on en parler à tout le monde ?
La question est souvent posé sur les groupes Facebook. Comme souvent, il y a des fervents pour le oui, d’autres, souvent plus nombreux, pour le non. On s’accorde souvent à dire qu’il n’est pas nécessaire ou enviable d’en parler au travail ou sur son CV. Après, ça dépend de quoi on parle :
Au travail :
- HPI : il peut paraître positif d’être HPI dans le monde du travail. Ceci dit, beaucoup de gens ont témoigné (toujours sur les groupes Facebook) d’un rejet de la part des recruteurs. Les HPI seraient vus comme prétentieux, difficiles au travail, mauvais en équipe, fantasques (Morgane, dans la série HPI, a l’air fun, mais est-ce que vous l’embaucheriez ?) Et si jamais vous tombez sur un recruteur qui sait de quoi il retourne, ça ne vous aidera pas forcément, parce qu’on se rend vite compte qu’être HPI ne veut pas dire grand-chose en termes de qualités professionnelles, de personnalité ou de motivation.
- Neuroatypies qui peuvent être considérées comme des handicaps (au sens légal) : par exemple, les troubles du spectre autistiques, les dyslexies, le TDAH. Il peut être utile d’en parler si vous avez besoin d’aménagements (temps partiel, poste de travail, éclairage adouci, casque anti-bruit… Tout ce qui vous aidera à faire votre travail au mieux, sans imploser ou rentrer lessivé chaque soir). L’autisme peut vous donner droit à des aides financières également. En revanche, annoncer votre autisme vous expose à des incompréhensions, du rejet, de la bonne volonté envahissante et difficile à gérer…
Les neuroatypiques semblent souvent chercher à sortir du monde du travail en entreprise, d’après ce que je vois sur les groupes Facebook. L’entreprenariat est donc une alternative pour quitter un environnement dont la structure est trop douloureuse en termes d’adaptation. Il peut être aussi utile de favoriser les environnements souples, en termes d’horaires (pour les TDAH avec timeblindness par exemple), de télétravail, de temps de travail, de congés maladie… On peut aussi démarcher les employeurs par rapport à des préférences comme open space ou bureau individuel, micro-management ou autonomie, valorisation de la créativité ou du conformisme…
Avec vos proches :
Il peut être difficile d’annoncer un HPI ou une neuroatypie à ses proches. Peur que cela change leur regard, et donc leurs comportements, que ce soit par peur d’être ridicule, d’être pris pour prétentieux (manque de confiance classique des femmes HPI décrites dans plusieurs ouvrages de psychologues que j’ai lus), de ne pas être à la hauteur de l’image… Peur que les autres se sentent écrasés ou inférieurs, peur qu’ils arrêtent d’échanger avec nous, peur de se mettre en lumière, pour le HPI. Peur d’être considéré comme handicapé, précieux, fragile, ou « s’écoutant trop » pour d’autres neuroatypies…

Peur que les choses changent, tout simplement. De rajouter à une image une autre image, souvent incomprise par le grand public, quelle que soit l’atypie dont on parle.
Lors de nouvelles rencontres, choisir d’annoncer rapidement une atypie, c’est aussi orienter la relation et changer les réactions de l’autre.
S’annoncer différent peut ouvrir à être traité différemment. Pour le meilleur et pour le pire. Pour que les gens s’adaptent, ou qu’ils vous rejettent.
C’est la grande peur et la grande opportunité.
Mais pour ma part, le plus souvent, on m’a dit que ça ne changeait rien. Que j’étais toujours la même personne. Que ça ne changeait que ma vie.
Pourtant, j’ai changé aussi. Je suis toujours la même, mais je me connais mieux, et je m’accepte mieux. Je crois que j’y ai gagné au change.
Comment je l’ai dit en famille
J’ai tout sorti d’un coup. Après des années à me cacher, des années d’omerta auto-imposée, des années passées à avoir peur de leur réaction face à mes pensées. Parce qu’elles existent. Parce que prétendre qu’ils ont une autre enfant que moi n’a aucun sens. Parce que ce n’est même pas ce qu’ils attendent de moi, me semble-t-il.
J’avais peur. Je voulais leur en parler en vrai, je me suis lancée des perches, j’ai parlé vaguement du blog, j’ai parlé de se sentir différente. Et leur réponse, bien sûr (et heureusement, parce que c’est des gens super !), était que j’étais juste moi, un peu différente, un peu comme tout le monde. Comme quand j’ai demandé à mon conjoint ce que ça lui ferait d’apprendre que j’étais autiste, si je devais recevoir ce diagnostic.
La vérité, c’est que ça ne change que ma vie, ou ça devrait. Et encore. Ça ne change rien à qui je suis, à qui j’ai toujours été. Surtout auprès des personnes les plus proches que moi, avec qui je masque très peu. Et puis j’ai toujours été un peu la fille bizarre.
C’est le côté étrange de l’étiquette, du diagnostic psychologique, quel qu’il soit (et j’inclus le HPI, qui n’est pas en soi un diagnostic). C’est un cataclysme, et cela ne change rien. Cela explique beaucoup, et pourtant ce n’est que le début du chemin. Comme une lunette différente avec laquelle regarder la vie, mais la vie n’a pas changée.
Mais moi j’ai changé, pas de savoir, mais de tout ce que j’ai fait, lu et pensé après l’annonce initiale.
J’ai parlé de tout à ma famille. Enfin, parlé. J’ai écrit. J’ai écrit un premier brouillon sur mon portable. Puis un deuxième. Puis j’ai renoncé, je me suis dit que ce n’était pas le moment, que je ferais mieux d’attendre le prochain lundi, la prochaine mise à jour d’un détail de la fiche Amazon de mon livre. Attendre d’être prête.
Mais j’aurais toujours trouvé une excuse. J’étais prête. Alors j’ai retenu mon souffle, et j’ai cliqué sur Entrée.
Pfiut. Envoyé à toute ma famille d’un coup, sur notre groupe Whatsapp. Le blog, le livre d’un coup. Bien sûr, je me suis sentie obligée de dire qu’ils n’avaient aucune obligation, j’ai rajouté des « si ça vous intéresse ». Comme si les autres attendaient notre autorisation de faire ce qu’ils veulent.
Je ne veux forcer personne. C’est quelque chose que je ne peux pas partager avec tout le monde. Ni selon ma propre timeline.
J’essaie de lâcher prise. D’ouvrir, de laisser à disposition, de communiquer assez pour me dire que l’info est arrivée, et que chacun ensuite choisit, fait selon ce qu’il ressent.
Hâte et terrifiée de le lire, m’a dit ma mère. J‘avais écrit quasiment les mêmes mots, avant, pour le partager. Cela ne change rien, et cela change tout.
On est comme ça, aussi. On se dit les choses importantes à distance, on ne se les dit pas. On est bien ensemble, c’est une évidence, mais on ne met pas de mots. On n’échange pas toujours. Parfois on se demande qui sont ces gens avec qui on a passé sa vie.
Je crois que tout le monde se dit cela, de temps en temps.
Je ne sais plus ce qui est ma spécificité, ce qui est neuroatypique, ce qui est tout le monde. Si tout mon monde est neuroatypique. J’ai l’impression de ne connaître personne dont je pourrais me dire que l’intérieur de sa tête est si différent du mien. Et pourtant, ce sentiment de différence, avec l’extérieur, qui me hante depuis toujours.
Et ma famille qui me ressemble. Les gens qui m’entourent, que j’ai choisi, qui ressemblent à certaines facettes de moi, pas à d’autres.
On s’imagine leurs réactions. Et ils ont le pouvoir de nous surprendre. C’est ça qui est fascinant avec les gens. Ils sont des chats de Schrödinger. Je peux imaginer ce que je veux de leurs réactions – et mon imagination peut être vaste. Mais sans rien leur dire, sans rien leur partager, ils auront à la fois bien et mal réagi, dans ma tête.
Et, dans la réalité, je n’aurais toujours rien dit. Je serais toujours cachée, en vertu d’une vieille injonction dont j’ai perdu l’origine.
La suite jeudi dans : Partager l’écriture (et la neuroatypie) avec ses proches

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