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Le besoin de faire des listes – réflexion sur la lecture, la culture et la mémoire

fichier excel avec liste de livres

Livres
Frises chronologiques
Écrivains
Films
Acteurs

Objets culturels pour me justifier à moi-même.

Remparts contre l’oubli, oubli de ce qu’il me reste à consommer, de ce que j’ai déjà consommé. Des jours qui passent. Je suis incapable de dire ce que j’ai fait le 7 janvier 2009. Où j’étais. Mais j’ai ajouté un livre à la liste. Le premier d’un nouveau cahier, La Rivière à l’envers 2 : Hannah (deux livres que je conseille, au passage).

Au cours de mon année de terminale, j’ai lu 88 livres, pour un total de 21 175 pages.

J’aime bien ces statistiques.
D’ailleurs en première, j’avais fait une estimation du temps que j’avais passé à lire. On a bien des chiffres sur le temps qu’on passe à dormir !

Bien sûr, malgré mes listes, je n’avais pas assez d’infos. Il me manquait des livres, il me manquait des nombres de pages, il me manquait le temps passé à lire chaque livre, ou sur une page. J’ai fait des estimations grossières, à partir des nombres de la liste, du nombre total de livres, d’un nombre moyen de relectures, d’un nombre moyen de pages, d’une durée moyenne par page.

5 mois et demi. J’avais quinze ans, dix ans de lettrisme.

Au moment où j’écris cet article, ma liste comprend 1083 livres. Je sais que j’en ai lu 40 de plus en CE2, jamais répertoriés, car c’est inscrit sur un vieux bulletin de classe. Je ne lis plus tellement les mêmes livres plusieurs fois, donc disons un total de 1600 lectures. 250 pages en moyenne (j’avais pris 300, à l’époque, mais je lis des livres plus courts aujourd’hui). Une minute par page ? Comme la moyenne est dure à faire ! Entre les pages lues en vingt secondes, dans un livre jeunesse, et celles où je relis la même phrase vingt fois, par manque de concentration ou par complexité…

Et tout ce que j’ai lu sans que ce soit un livre ? Documents de cours, articles en ligne, journaux. Bouteilles de shampooing, allongée dans mon bain ou assise sur les toilettes. Liste des ingrédients d’une boîte de céréales, mille fois parcourue.

400 000 pages. 400 000 minutes. Moins d’un an. Ces dix dernières années, j’aurais fait moins que doubler mon chiffre ?

Je suis étrangement déçue. Sachant que j’ai noté presque tous les livres, et le nombre de pages, et presque pas relu depuis cette époque, je peux donner le chiffre presque exact, en nombre de pages, depuis : 690 x 250 = 172 500 pages. À quelques milliers près, ce serait cohérent avec les 240 000 pages de l’époque.

Étrange.

En même temps, il est vrai que j’ai des difficultés à me concentrer sur des livres, depuis la prépa. Il est vrai que j’ai aussi bien d’autres distractions – j’ai eu mon premier ordinateur pour mon bac, à l’époque glorieuse du streaming illégal.

Je pourrais d’ailleurs probablement estimer le temps passé à regarder des films. Ou des séries, quoique plus difficilement, et ce serait probablement un chiffre déprimant.

Je repense à mes études, aux heures, aux jours entiers passés à m’abrutir devant des séries, jouant en parallèles à des jeux automatiques, 2048, petites bulles à éclater.

Et les fan-fictions ? Et VDM ? Et BoredPanda Combien d’heures passées, sur le divertissement facile ?

Aujourd’hui je manque de temps pour faire tout ce que je voudrais faire. J’en veux à mon travail, qui m’occupe l’esprit, avant je lui en voulais de ne pas me l’occuper assez.

Vivre en cochant ma liste ?

Faire des listes, ça m’a permis de laisser une trace concrète, matérielle de ce que je faisais. Comme un avancement, une check-list de la vie, qui aurait déterminé ma valeur. Avais-je vu Orange Mécanique, le Seigneur des Anneaux et Autant en emporte le vent ? Avais-je lu Emma Bovary, la Guerre et la Paix et l’Enfer de Dante ? (Oui, au moins en partie, et je ne me souviens bien d’aucun. Emma Bovary m’a horriblement déçue. Autant en emporte le vent ennuyée. Les chefs-d’œuvre devraient rester des idées).

Et apprendre, non pas en comprenant, non pas en se passionnant, apprendre. Se souvenir de la farandole de chiffres, de noms, de dates. Les rois de France de 1515 à 1789 (je ne vais pas me plaindre, ça m’a servi une fois dans ma vie à gagner un jeu de société, on m’en parle encore). Les dates de naissance des écrivains (saviez-vous que Balzac, Proust et Rainer Maria Rilke sont tous morts durant l’année civile de leur 51ème anniversaire ?). Les vingt tomes des Rougon-Macquart. Le nom des sept nains. Mon âge en jour.

Des chiffres, des faits pour exister. Pour me rassurer. Pour croire que quelque chose est vrai et immuable, peut-être.

Calculer des statistiques, des sommes, faire des recoupements et des schémas. Pour simplifier (si, si, je vous jure, calculer les dates de naissance des gens en se souvenant de la durée de leur vie plutôt que de leur date de mort, c’est plus simple !), pour schématiser. Parce que c’est beau, ça fait schéma. Ça ordonnance (parce qu’ordinare, en latin, c’est compter).

J’en ai marre qu’on me demande mon âge en jours. Même si je peux toujours le calculer (faut me donner le temps, par contre, même si je peux le faire de tête correctement), je n’en ai plus envie. Je ne sais plus pourquoi je le faisais. Je ne sais plus si c’était compulsif ou simplement amusant. Je ne sais pas s’il y a une différence.

J’en ai marre qu’on me le demande, mais il y a quelques temps j’ai calculé le jour de mon 9002ème jour, et j’étais un peu frustrée d’avoir loupé le 9000. J’en ai marre mais je sais que le 10 000ème devrait arriver l’année prochaine, et je calculerais un peu avant, je pense.

Ou je vérifierai sur internet (il y a un site, et le calcul doit être amusant à automatiser !).

J’ai d’autres choses pour me rassurer, maintenant. J’ai moins besoin d’être rassurée. Qui sait ?

J’ai toujours ma liste de livres, mais je n’écris plus les films (je n’en regarde presque plus, ceci dit). Les livres font partie de moi, et j’aime toujours avoir la liste, faire quelques statistiques, me souvenir de ce que j’ai lu et quand.

Je connais toujours les dates de naissance de plein de gens qui étaient morts bien avant ma naissance. Peut-être que je pourrai gagner une autre partie de jeu de société avec ces informations. J’aime bien me les rappeler, de temps en temps. Avoir un cadre. De la même façon que j’aime me souvenir de la plupart des règles de grammaire (je suis toujours surprise de voir que ce n’est pas un cadre fascinant et superbe pour les autres :D). Ou de mes cours de biologie qui ont entre dix et vingt ans maintenant. De me souvenir de l’adénine, des lymphocytes T, des règles d’accord étranges pour les adjectifs de couleur, selon qu’ils viennent d’un fruit, d’une fleur, ou qu’ils soient employés par deux.

J’en ai un souvenir ému, du temps ou les choses avaient un sens que me donnait le monde, un sens que je n’avais pas à chercher seule.

Mes listes, aujourd’hui, sont souvent des TO-DO lists. Des livres à lire, croisés dans d’autres livres. Des listes d’entrées dans mon carnet, des listes de formations que je fais. Toujours le rituel, la sensation rassurante du nombre, de l’alignement, de l’amassement. Amasser les pages (269 377) comme les chiffres sur mon compte en banque, garants d’une liberté rêvée, d’un monde où j’aurais les moyens de faire ce que je veux sans travailler au plus efficace.

Mais cet état d’esprit change.

Les listes aussi changeront encore.

Un jour, je saurais peut-être vivre dans le présent. Sans besoin de structurer ainsi ma mémoire.

Peut-être 😉

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