Cet article est né d’un passage sur le site de memes 9gag. J’ai cherché, par curiosité, des memes sur les « gifted ». Et, s’il serait intéressant de parler des memes eux-mêmes, je voulais surtout partager la joie et le bonheur de la section commentaires.
NB : Le meme est sur les « academically gifted kids », soit les élèves très bon à l’école. Le vocabulaire anglais est aussi peu clair que le français sur les concepts, et il ne s’agit pas directement de HPI dans son sens de structure mentale. Et les commentaires, eux-aussi, parlent de choses potentiellement très différentes.

1. Les rageux
Cette catégorie est souvent présente dans les commentaires 9gag, quel que soit le sujet. Ils critiquent sans nuance, contredisent le meme qu’ils commentent, et insultent tout le monde.
Dans la catégorie tapons sur les surdoués, nommons ceux qui pensent qu’il y a une majorité et les autres, mais que beaucoup de gens se pensent surdoués sans l’être. Je ne sais pas si c’est vrai, mais si le trait souvent cité sur les surdoués est vrai, les vrais surdoués se revendiquent rarement ainsi. Et peut-être que des parents créent des attentes, voire convainquent leur enfant qu’il est surdoué, mais je ne suis pas sûre que cela justifie la haine d’un inconnu en ligne. Créer, en revanche, de l’anxiété et de la haine de soi, j’y crois parfaitement, et je pense que ça mérite plutôt de la compassion pour la personne qui ne se voit jamais à la hauteur du fantasme parental (vrai HPI ou non).
Personnellement, je n’aurais pas affirmé haut et fort que j’étais surdouée, mais pas non plus nié que je pourrais l’être, avant de passer le test et d’être nommée ainsi par ma psy. Mais je n’ai jamais trop compris non plus le concept de laisser des commentaires à des inconnus pour invalider leurs ressentis et les traiter d’imbéciles (ceci dit, je ne commente presque jamais aucun contenu).

Non idiot, les compliments te sont monté à la tête. Tu es sûrement médiocre comme la majorité, et ton incapacité à être à la hauteur est seulement normale pour toi.


Il y a ensuite ceux qui rejettent l’idée que le « vrai surdoué » pourrait échouer, et qui pensent que c’est souvent une excuse pour justifier des échecs ou un handicap social.

Il y a une différence entre être intelligent et avoir la capacité à apprendre des conneries et prétendre qu’on est intelligent

« Enfant surdoué » ? Est-ce que ce n’était la façon dont Maman parlait de son enfant autiste ?

En plus, OP craint.
Parfois, ces commentateurs ont l’air tellement insultés que des gens « anxieux » ou porteurs de « haine de soi » soient surdoués qu’on se demande s’ils ne se sentent pas / ne sont pas surdoués eux-mêmes, et méprisent l’idée d’être associés à eux, qu’on usurpe leur identité.
D’autres se revendiquent dans les autres, les « normaux », « the rest of us ». Et méprisent l’idée que les surdoués détesteraient le traitement qui leur est réservé. Comme si la réussite sociale, professionnelle, ou le bonheur devaient être réservé à un camp ou à l’autre, comme si même il s’agissait de camps unis et distincts.

2. Les gourous de la motivation et du travail
Si la première catégorie me paraît peu compréhensible et n’éveille que peu d’émotions chez moi, la deuxième met les pieds dans un plat bien connu : celui de la motivation, de la valeur-travail, qui chez moi renvoie à notre cher ami le syndrôme de l’imposteur.
Ici, on mettrait le fait même de se considérer comme surdoué dans le sac de se considérer intelligent par défaut, ce qui serait une faut et la preuve d’un esprit étriqué et incapable de progresser.
Ici, les idées que j’ai lues sur les HPI sont plutôt celles de droite : volonté de s’améliorer, recherche de challenge et d’apprentissage. Mais l’idée d’enfant doué, précode, bon à l’école serait elle une idée calcifiante, qui enterrerait l’enfant dans une absence de volonté d’évoluer. On retrouve l’idée des rageux que le bon élève n’est pas un vrai surdoué et qu’il se place en victime… ce qui, dans mon expérience, peut arriver et n’est pas vraiment lié à la présence ou non d’une structure cérébrale HPI, mais à la sur-adaptation, l’anxiété, et la création d’un idéal qui n’est pas celui du développement personnel, mais de la performance et de la perfection.

Etat d’esprit fixé : l’intelligence est statique, éviter les challenges, dire c’est trop dur, attendre une récompense sans effort, ignorer les retours, menacé par la réussite des autrest
Etat d’esprit de croissance : l’intelligence peut être développée, accueillir les défis, mon esprit peut être entraîné, l’effort conduit à la maîtrise, les retours permettent d’apprendre, le succès des autres m’inspire
Pour moi, il y a bien une réalité derrière ces deux états d’esprits, mais :
- l’un n’exclue pas l’autre, on peut changer, on peut osciller de l’un à l’autre, on peut ne pas se sentir à la hauteur de l’idéal de droite, de croissance ;
- c’est caricatural : on peut aspirer à s’améliorer tout en étant freiné par son ego, tout en se sentant menacé ou du moins en s’aimant moins en étant inspiré par d’autres. On peut avoir des problèmes avec l’effort qui sont le fruit d’années à tout obtenir facilement et à ne pas être assez stimulé, et de peur d’échouer ;
- il n’y a pas de causalité directe entre le fait d’être bon à l’école, le fait d’avoir un fonctionnement HPI, et le fait de présenter l’un ou l’autre des états d’esprits. Il peut y avoir des corrélations, car l’enfance d’un HPI présente des défis particuliers qui peuvent le brider de façon particulière ;
- c’est culpabilisant. Et franchement, je ne sais pas vous, mais je culpabilise déjà assez. On peut grandir et s’améliorer sans descendre les autres et ceux qui sont moins loin sur le chemin (c’est même, me semble-t-il, quelque chose que le chemin devrait nous apprendre). Et c’est peut-être de ma place sur le chemin, mais je trouve la formulation aggressive (ou alors c’est mon propre sentiment de culpabilité qui parle, et l’imposteur, là-bas, qui en rajoute).

3. Les rois de la salade
L’intention est louable, mais l’information plutôt limite : les enfants doués à l’école seraient tous Asperger « ou quelque chose du genre », et échoueraient plus tard à cause d’inaptitudes sociales (avec une charmante apparition des deux catégories précédentes dans les commentaires qui suivent).
Là encore, il y en a, mais ça n’a finalement rien à voir avec le HPI, ni même la majorité des bons élèves (en tout cas ceux que j’ai connus).

J’aime comme tout le monde se dit surdoué mais est en fait plutôt attardé
Je suis d’accord. Être surdoué ne vaut rien sans discipline et/ou motivation
4. Un peu de foi en l’humanité
J’ai bien sûr choisi les messages les plus violents, absurdes ou dérangeants pour moi. Rassurez-vous, beaucoup invitaient à ignorer la dichotomie (parce qu’on peut être angoissé, se détester, ET être docteur ❤️) et à être plus nuancé, d’autres cherchaient à être encourageants envers ces enfants (ce qui, soyons francs, attendrait plus ou moins la cible, mais je pense que certains enfants HP en bénéficieraient…).

Maintenant tout le monde va penser que ça parle d’eux parce que tout le monde pense qu’il est surdoué

Conclusion
Il y a un immense paradoxe du très bon élève, et, en réalité, deux profils caricaturaux. L’élève qui fonctionne en HPI, qui apprend facilement, s’intéresse à la plupart des sujets, et travaille peu.
L’élève qui travaille pour avoir de bons résultats, qui bachotte, qui a une valeur-travail élevée.
Un seul élève peut avoir les deux profils. Un HPI peut échouer à l’école, ou avoir des matières fortes et d’autres faibles, en fonction de son environnement, de sa personnalité, de la façon dont il donne du sens à l’école et au système scolaire.
Le système scolaire peut faire beaucoup de mal à un HPI qui fait peu (ou a l’impression de faire peu) d’efforts pour réussir. Il le persuade que le travail doit avoir une éthique, et que la valeur d’une personne est méritocratique, puis écrase ce discours en récompensant ce que le surdoué voit comme un manque de travail. Il ne prend pas ses besoins en compte, compte sur sa capacité à s’adapter facilement, sans se soucier des dommages en termes d’ego, d’estime de soi et de création de faux-self. Et, dans bien des cas, il ne le prépare pas efficacement au monde du travail, car il ne lui apprend jamais à gérer la frustration, la motivation, et la question de ce qu’il veut vraiment faire.
Et il y a pourtant une hostilité face à ce type de bon élève, qui n’a rien demandé et souvent rien revendiqué, qui peut être formidablement adapté en résultats et inadapté dans le fond au système scolaire. On entend parler de jalousie, d’incompréhension, de peur. Je ne trancherai pas. Pourtant, ces commentaires sont parlants.

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