
Ma vie scolaire a suivi la voie toute tracée, pourtant découverte à tâtons, en m’imaginant ce que je devrais aimer, ce que j’imaginais intéressant, ou que j’imaginais devoir trouver intéressant.
Quelle part de tout cela était simplement suivre l’image que j’avais de moi, construite de l’extérieur ? Une bonne élève – ah ! Comme j’ai détesté qu’on me le dise ! Avec des facilités. ça, oui, des facilités, pourtant je ne me considérais pas comme une bonne élève, cette élève imaginaire méritante, travailleuse, bûcheuse même, qui participe en classe et se donne. Qui a l’impression que l’école est réelle, que l’enjeu est important.
Mais oserais-je prétendre que l’enjeu n’était pas important ? Que je n’ai pas été dévasté le jour où, en cinquième, j’ai eu un douze en maths ?
Pourtant je ne me sentais pas impliquée comme j’imaginais que je devais l’être. Je n’avais pas de bonnes notes pour la beauté de la connaissance, mais parce que je n’imaginais pas en recevoir de mauvaises. J’allais à l’école, chaque jour, y passant une grande partie de mon temps éveillé, et j’avais l’impression que la vraie vie était ailleurs, que tout n’était qu’une vaste comédie, dont pourtant je subissais une pression interne.
Au milieu d’une enième réforme du lycée, j’ai eu en seconde des “enseignements d’exploration”, supposés ouvrir mon esprits aux différentes possibilités. J’ai d’abord choisi “Littérature et société”, puis, quand il s’est avéré que c’était incompatible avec mes autres options et que cela me séparait en plus de mes amis de collège, quelque chose de plus scientifique. Ma classe a finalement échoué en “astro-philo”, un enseignement conjoint d’un prof de physique et un de philo, où nous parlions des philosophes antiques et des étoiles. Un rêve pour un surdoué, curieux de tout ?
Je n’en ai que peu de souvenirs, et peu de souvenirs d’intérêt. Nous avons pourtant calculé la position des étoiles une date précise 2000 ans plus tôt, et lancé un ballon-sonde de plusieurs mètres de diamètre depuis la cour du lycée, en compagnie de lycéens, si je me souviens bien, d’Europe de l’Est. Encore des choses que je dois classer en “devrait m’intéresser”, plus que “m’intéresse vraiment”.
Après ça, une série scientifique.
La philo peu intéressante, le prof absent.
Quelques moments de grâce en mathématiques théoriques, principalement en spécialité. Un souvenir un peu ému des raisonnements par récurrence et des congruences. Une année en lévitation, entre tristesse immense, angoisse immense, et les meilleures notes de ma vie. Je survolais les programmes scientifiques, surtout les maths, déjouant les pièges du prof avec un sourire de connivence, finissant avant le temps imparti. Incapable d’interagir en cours : j’ai encore le souvenir d’avoir dû poser une question, un jour, car je n’étais pas sûre – généralement, si j’étais sûre d’une erreur au tableau, je la corrigeais sur mon cahier en silence et sans avertir personne. Mon cœur a battu la chamade pendant dix minutes.
J’arrivais alors à avoir de bonnes notes, à me concentrer sans être terrassée par la question : le sujet m’intéresse-t-il ?
La semaine du bac fut reposante, je suis sortie en avance de toutes les épreuves – sauf la philo, je crois, ma pire note. Je n’ai pas eu à parler, à écouter, j’étais seule avec mon écriture déliée, mon stylo-plume, entourée d’inconnus. Je suis allée faire le marché, une fois, en sortant en avance. En oubliant de conclure mon problème de mathématiques.

Les oraux étaient bien plus compliqués, et bien plus stressants. Il avait fallu s’entraîner : pendant un contrôle écrit, la prof d’allemand nous convoquait l’un après l’autre à son bureau, pour réciter un speech. Für mich ist ein Freund jemand… Je m’étais mise à pleurer, devant tout le monde, incapable de réciter par coeur et sans notes ce que je pouvais pourtant réciter dans ma tête. Pendant de longs mois, j’ai fantasmé de devenir muette, de me couper la langue ou de me casser le bras la semaine des examens.
Et la prof me demandait quand nous pouvions faire un deuxième essai. Je l’ai d’abord fait patienter en lui indiquant que j’allais aller voir le psychologue scolaire pour lui parler de ce blocage. Finalement, à force de repousser, elle m’a demandé si je voulais repasser, et j’ai simplement dit non.
Le jour de l’oral, face à la même prof, avec mes notes que je ne lisais pas, tout est allé parfaitement et j’ai eu 19 en anglais et en allemand. L’improvisation me réussit toujours mieux, même si elle est horriblement stressante avant, et impossible à toucher du doigt après. Comme si une autre prenait ma place pendant l’oral, et que j’oubliais tout ensuite. Cette moi-adrénaline fut, à cette époque, surnommée Claire.
Claire, celle qui était capable d’être à la hauteur, comme si mes succès n’étaient pas vraiment miens.

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